L’humanité, on le sait, est capable du meilleur comme du pire. C’est sans conteste le pire dans ses plus sombres extrémités qui est convoqué ces jours-ci sur la scène du Théâtre Prospero avec la pièce Homicide.

Après des années à écrire du théâtre jeunesse, le dramaturge Pascal Brullemans et sa complice, la metteure en scène Nini Bélanger, ont décidé de plonger dans les eaux glaciales de l’affaire Luka Rocco Magnotta pour leur nouvelle création, destinée cette fois (et sans l’ombre d’un doute !) à un public adulte.

L’assassin n’est ici jamais nommé. Sa victime non plus. Mais les gestes horribles commis à Montréal en 2012, alors qu’un homme a été tué et démembré sous le regard sans âme d’une caméra, ont inspiré aux deux créateurs une œuvre d’une puissance dérangeante.

Dans Homicide, ce n’est pas tant l’acte meurtrier qui est au cœur du propos que le besoin viscéral de reconnaissance du tueur, dans un monde où la vie numérique prend souvent le dessus sur la vie réelle. Car les images, il ne faut pas l’oublier, ont été diffusées sur l’internet peu de temps après le crime. Par celui qui l’a perpétré.

Phénoménal Dany Boudreault

Les cheveux peroxydés, vêtu d’un simple slip (voire carrément nu), Dany Boudreault porte sur scène la partition polyphonique qui a été écrite expressément pour lui. Il est l’assassin en devenir, un garçon avec un gouffre à la place du cœur et une irrépressible envie de sortir de son anonymat. Il devient la voix de la victime (dont le rôle muet est tenu par Christian Rangel). Il interprète même la mère du tueur, déchirée entre l’amour de son fils et la honte qu’elle éprouve.

PHOTO CAMILLE GLADU-DROUIN, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE PROSPERO

Dany Boudreault livre ici une des plus fortes performances de sa carrière d’acteur.

Dany Boudreault joue tout cela avec l’immense talent qui est le sien et une justesse irréprochable. Il se donne corps et âme dans ce spectacle à glacer les veines de ceux qui écoutent. On imagine à peine la noirceur où il a dû s’enfoncer pour donner vie à ce monstre. Sans le juger, sans l’humaniser ni justifier ses gestes.

Le plus troublant dans ce spectacle est peut-être de nous faire réaliser qu’un tueur tel Luka Rocco Magnotta n’est pas qu’une anomalie, une tare dans un monde lisse et sans aspérité.

Il est le fruit de notre besoin irrépressible d’exhiber nos moindres gestes au regard virtuel d’autrui pour sortir de notre vacuité. Le fruit d’une curiosité malsaine qu’on assouvit pour se laisser croire qu’on est à l’abri de pareille dérive.

S’il a tenu à partager avec le monde entier les gestes épouvantables qu’il a commis, c’est qu’il savait pertinemment qu’il y aurait des yeux pour regarder. En cela, ce spectacle terrible par ses mots et les images qu’il nous laisse au cerveau est révélateur de notre humanité à tous.

On quitte la salle sonné, vaguement nauséeux même. Comme lorsqu’on sort d’un mauvais rêve qui refuse de se faire oublier. La performance de Dany Boudreault, sans nul doute l’une des plus fortes de sa carrière, nous hantera longtemps.

D’autant plus que le dispositif scénique nous renvoie des plans très rapprochés de l’acteur. On peut presque voir la noirceur de l’âme de son personnage à travers ses yeux qui brillent de cruauté dans son délire mégalomane. À donner froid dans le dos.

Bref, impossible de sortir indemne de ce spectacle. Et tant pis si c’est inconfortable. Le théâtre a parlé.

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Homicide

Homicide

Texte de Pascal Brullemans, mise en scène de Nini Bélanger. Avec Dany Boudreault et Christian Rangel

Théâtre Prospero, Jusqu’au 11 novembre

8,5/10