Il a été son élève à l’École nationale de théâtre et a partagé avec lui plusieurs conversations et projets de création. Olivier Choinière a décidé de faire du défunt metteur en scène André Brassard le personnage central de sa plus récente pièce, La dernière cassette. Un spectacle audacieux, mais qui peine à toucher ceux qui n’ont pas connu l’homme de son vivant.

Olivier Choinière, qui signe ici texte et mise en scène, a choisi Violette Chauveau pour incarner AB, metteur en scène brillant coincé dans un corps qui ne lui obéit plus depuis trop longtemps. Handicapé et seul, l’homme de 75 ans a perdu sa mobilité, mais pas son esprit aiguisé.

D’emblée, il faut le souligner : Violette Chauveau est phénoménale. Elle touche au sublime avec son interprétation de ce personnage capable de conjuguer le sacré et le trivial dans une seule et même phrase.

Dans un costume surdimensionné et clownesque signé Elen Ewing, l’actrice est méconnaissable. Le soir de la première, dans une salle remplie de gens du milieu, chaque geste esquissé, chaque juron marmonné provoquait des rires attendris. Violette Chauveau s’est dissoute dans les habits crasseux de son personnage, au point qu’on s’étonne presque de la retrouver, avec son éternelle jeunesse et son regard mutin, à la tombée du rideau.

PHOTO VALÉRIE REMISE, FOURNIE PAR LE QUAT’SOUS

Violette Chauveau est méconnaissable dans les habits crasseux d’AB.

Olivier Choinière a eu beau répéter que son AB était un personnage fictif, les ressemblances avec Brassard sont loin d’être fortuites. C’est bel et bien le metteur en scène des Belles-Sœurs qui hante la scène du Quat’Sous, au milieu des monticules de mégots et des cannettes de Coke vides. L’étouffant décor qu’on croirait fait de cendres, imaginé par Simon Guilbault, constitue un autre point fort de ce spectacle.

Pour les initiés

Mais… il y a un mais. Le manque de rythme et certaines maladresses à la mise en scène (notamment lorsque le personnage interroge en vain le public) plombent l’ensemble. Le préambule, pendant lequel on devine toute la solitude du personnage, s’étire indûment ; il faut attendre longtemps avant qu’AB sorte de son fatras un magnétophone à cassettes pour raconter sur ruban (et au public présent) sa vision de la société, de la vieillesse, mais d’abord et avant tout, de son art.

Car même si le théâtre reste le grand amour d’AB, ce dernier continue de s’interroger sur la pertinence de la chose du fond de son fauteuil roulant. Pourquoi brûler de tout son être pour un art éphémère écrit dans un sable que la moindre marée peut emporter ?

En l’écoutant réciter du Racine juché sur le siège de toilette, on sent toutefois que le théâtre l’aide encore et toujours à rester vivant. Malgré tout le reste.

Or, c’est lorsqu’il partage à voix haute son dialogue intérieur que le personnage d’AB devient le plus intéressant, le plus touchant. Le reste – notamment l’approche beckettienne très appuyée qu’a voulu donner Olivier Choinière au spectacle – n’est que glaçage sur le gâteau, pour employer une métaphore chère à Brassard.

Ce feu qui couvait au ventre d’AB pourrait embraser tous les spectateurs, qui ne demandent pas mieux que d’être émus, éclairés, transportés. Malheureusement, on sent que l’exercice s’adresse davantage aux initiés : à ceux qui ont connu Brassard ou à ceux qui pratiquent cet art exigeant.

Les autres se sentiront largués par moments. Malgré cette performance de Violette Chauveau à marquer d’une pierre blanche.

La dernière cassette

La dernière cassette

Texte et mise en scène d’Olivier Choinière Avec Violette Chauveau

Au Théâtre de Quat’Sous, Jusqu’au 30 septembre

7/10

Consultez le site web de La dernière cassette