Le critique de théâtre de La Presse s’est transformé en marathonien récemment. Il a vu plusieurs spectacles à l’affiche dont la durée varie entre quatre et douze heures, voire plus. Voici quelques conseils pour profiter pleinement de l’expérience.

DOUZE heures et vingt-cinq minutes. C’est la durée (prévue) de la représentation de La traversée du siècle, une production présentée (à guichets fermés) dans sept théâtres montréalais cette saison. L’équivalent d’un vol direct Montréal-Tokyo ! Or, à l’instar d’un voyage outre-mer, il faut bien se préparer avant de partir. Pour ne pas souffrir.

La veille de la première, notre collègue Chantal Guy, qui couvrait le spectacle sur l’œuvre de Michel Tremblay, nous a téléphoné, un peu paniquée. « Tu peux le dire que ça me fait peur ! » Bien sûr, on l’a rassurée. Ce spectacle sera une expérience hors du commun ; elle va s’en souvenir toute sa vie.

Place… aux entractes !

PHOTO LUC BOULANGER, LA PRESSE

Le Théâtre d’Aujourd’hui avait installé des minuteurs géants pour afficher le temps durant les pauses…

Les théâtres qui programment des spectacles-fleuves mettent beaucoup d’efforts pour faciliter l’expérience du public. Par exemple, au Théâtre d’Aujourd’hui, la production nous a fourni un horaire bien détaillé de la journée, avec la durée exacte des six parties et des entractes. Elle a installé des minuteurs géants pour afficher le temps durant les pauses… Et éviter les retards. Car les retardataires ne sont pas autorisés à entrer dans la salle après le début de chaque partie.

Nourriture et… bas de contention !

PHOTO MARLÈNE GÉLINEAU PAYETTE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Une partie de la distribution de La traversée du siècle

Samedi matin, on arrive au Théâtre d’Aujourd’hui, peu après 9 h… et le hall bouillonne déjà d’activité. Des spectateurs récupèrent leurs coupons pour les repas réservés. Ils les prendront durant deux pauses à 13 h 30 et à 18 h 10, dans des espaces aménagés pour manger. D’autres ont opté pour leurs propres lunchs et collations. Ils ont bourré leur sac à dos de sandwichs, fruits et autres barres tendres. Sans oublier d’y insérer des sachets réfrigérants. Dans des stations près du bar, on sert gratuitement de l’eau, du thé et du café filtre. Avant d’entrer en salle, on nous suggère de remplir nos gourdes d’eau et de passer au petit coin.

« J’ai pas pris de chance ; j’ai mis des bas de contention. Comme quand je prends l’avion. Je ne veux pas avoir mal aux jambes », confie à ses amies une spectatrice assise derrière nous. Plus loin, une collègue a apporté un gros coussin, pour éviter l’inconfort de son siège, qu’elle occupera jusqu’en fin de soirée. Comme dit l’adage : le cerveau ne peut pas en prendre plus que le derrière…

Le temps des spectacles-fleuves

PHOTO MAXIM PARÉ-FORTIN, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Alex Bergeron et Sylvie Drapeau dans Titus Andronicus, le dernier volet du spectacle-fleuve Rome, qui fait plus de sept heures.

Les longs, très longs spectacles ont la cote au théâtre. Vaut mieux donc être préparés en ce sens. Car de Duceppe au TNM en passant par l’Usine C et Le Diamant, les compagnies programment des fresques de longue durée, divisées en plusieurs actes.

Les sept branches de la rivière Ōta, de Robert Lepage, dure environ sept heures, entrecoupées de courtes pauses et entractes. Rome, créée au printemps sous la direction de Brigitte Haentjens, regroupe cinq pièces de Shakespeare en une unique représentation de sept heures et demie, avec deux entractes. Le Projet Riopelle, aussi de Lepage, fait plus de quatre heures et demie, comprenant deux entractes de 20 minutes.

D’ailleurs, Robert Lepage est le grand maître des spectacles marathons, depuis qu’il a présenté la version intégrale (six heures) de sa Trilogie des dragons, en 1987, au Festival de théâtre des Amériques.

Des œuvres majeures qui méritent l’effort

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Alice Ronfard signe la mise en scène et l’adaptation de La traversée du siècle, de Michel Tremblay.

Cette année au théâtre, on a traversé le XXe siècle québécois porté par les mots et le génie de Tremblay ; on a exploré la Rome antique et tragique de Shakespeare, à l’Usine C ; puis voyagé à Hiroshima, New York et Amsterdam au TNM ; avant de voir chez Duceppe une période cruciale de l’histoire de l’art moderne, grâce à la puissante imagination de Lepage et son Projet Riopelle.

En 2019, en proposant à André Brassard de travailler sur une œuvre qui fera la généalogie de la famille d’Albertine, Alice Ronfard a voulu faire « un genre de Mahabharata québécois », en référence au chef-d’œuvre de Peter Brook, sur l’épopée indienne, d’une durée de neuf heures. Avec La traversée du siècle, comme Brook, Ronfard livre avec brio une odyssée sur la mythologie du peuple québécois. Un projet colossal qui lui aura pris trois ans de sa vie. On peut bien lui accorder 12 ou 13 heures de la nôtre pour voir le résultat.