Âgé d’à peine 30 ans, l’écrivain français Édouard Louis connaît une carrière fulgurante. Il participe d’ailleurs souvent à la transition de ses livres vers le théâtre et le cinéma. Présentée au Quat’Sous, l’adaptation que propose Jérémie Niel de son texte Qui a tué mon père s’égare quelque peu dans un brouillard dont elle peine à s’extirper.

La signature du metteur en scène Jérémie Niel se nourrit de dualité et d’ambiguïté, voire de flou artistique. Avec Qui a tué mon père du Français Édouard Louis, il trouve chaussure à son pied. Cette histoire de réconciliation entre un père, autrefois violent et homophobe, et un fils, gai et intellectuel, s’appuie ainsi sur un texte évolutif et brillant.

La pièce s’attaque aussi aux pouvoirs dominants qu’ils soient masculin, économique ou politique, au sein de la société française. Édouard Louis élabore une thèse intéressante selon laquelle les maladies rendant pénible la vie de son père sont la conséquence d’abus des castes dirigeantes envers la classe ouvrière, plongée dans la nuit de l’indifférence.

Le texte est découpé en plusieurs parties qui vont des souvenirs d’enfance de l’écrivain, empreints de reproches, puis d’excuses envers son père, à une confiance retrouvée entre les deux hommes.

Jérémie Niel aime opposer jeu et non-jeu dans son travail. Explicitement, comme dans son ludique Face-à-face, mais ici plus sèchement entre un père muet (Martin Faucher) et un écrivain loquace (Félix-Antoine Boutin). Le non-jeu de ce dernier pose problème durant la longue et statique première partie.

Formidable Martin Faucher

Il y est beaucoup question d’émotions qui sont presque uniquement interprétées par l’heureusement formidable Martin Faucher.

Dans son grand retour sur scène, le comédien, metteur en scène et ancien directeur du FTA affiche de fortes qualités d’évocation, passant de regards sombres aux sourires empathiques. Si bien que le regard du public se porte surtout vers ce corps totalement habité de sensations diverses.

Une scène plus animée survient lorsque Faucher, déguisé en majorette, répond par une foule de gestuelles drolatiques au témoignage monocorde livré par le fils. La tension retombe tout de suite après, toutefois, lorsqu’une fumée de glace carbonique enveloppe de brouillard la scène… et le message, tout comme la voix du fils se noie dans une musique tonitruante.

Par contre, Jérémie Niel s’entoure toujours très bien. Son équipe comprend Cédric Delorme-Bouchard à la lumière et à la scénographie. Des appareils électroménagers fonctionnels sur scène, dont une cuisinière, ajoutent un aspect olfactif au spectacle. La trame sonore de Sylvain Bellemare et de Francis Rossignol insuffle également de la vie dans une pièce qui en manque par moments.

Ce texte d’Édouard Louis aurait probablement nécessité plus de dynamisme dans la mise en scène et l’interprétation. D’autant que la thèse défendue ici tombe quelque peu à plat dans le contexte social québécois, un brin plus progressiste que le français, au sujet de la violence et de l’homophobie, notamment.

Et ce, même si certaines situations sociales font penser qu’un pas vers l’avant est aussitôt suivi par deux pas en arrière en raison de relents machistes en tous genres.

Qui a tué mon père

Qui a tué mon père

D’Édouard Louis. Mise en scène de Jérémie Niel. Avec Félix-Antoine Boutin et Martin Faucher.

Théâtre de Quat’Sous, Jusqu’au 10 décembre

6,5/10