À la fois conférence, déambulatoire et théâtre documentaire, Cyclorama est un exercice de démystification des deux solitudes que forment les communautés théâtrales francophone et anglophone, réputées pour s’ignorer souverainement.

Pour ce faire, deux trames narratives, bilingues, se superposent : celle de l’auteure et comédienne Laurence Dauphinais, qui évoque son propre parcours — et qui affronte sur scène son ami Antoine Yared, parti travailler à Stratford, en Ontario. Puis, celle de deux professeurs de théâtre : Alexandre Cadieux et Erin Hurley, qui s’expriment chacun dans leur langue maternelle en relatant la grande histoire de nos théâtres.

Le procédé n’est pas sans rappeler l’approche documentaire d’Annabel Soutar (J’aime Hydro, Fredy, Tout inclus), mais on pense aussi au dramaturge Mani Soleymanlou et à ses échanges avec Emmanuel Schwartz dans Deux vu le thème de l’identité, central dans Cyclorama.

Pourquoi Antoine Yared, ce jeune Libanais francophone, a-t-il choisi d’étudier en théâtre à Dawson, puis dans le volet anglophone de l’École nationale de théâtre du Canada, à Montréal ? Et pourquoi a-t-il choisi de quitter le Québec pour se joindre à l’équipe du festival de Stratford, en Ontario, réputé pour ses productions shakespeariennes ? Enfin, pourquoi son amie Laurence l’a-t-elle invité sur scène pour débattre de tout cela avec elle ?

C’est en partant de cette petite histoire (très pertinente), ainsi que de sa propre expérience, que Laurence Dauphinais, nationaliste anglophile, tente de s’arrimer à la grande histoire, celle des théâtres montréalais – dominés aujourd’hui par la communauté artistique francophone.

PHOTO VALÉRIE REMISE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Les quatre interprètes de Cyclorama : au centre, Antoine Yared et Laurence Dauphinais ; et aux extrémités, Erin Hurley et Alexandre Cadieux

Mais les chemins qui serpentent son sujet sont sinueux. La présence (heureuse) d’Alexandre Cadieux et d’Erin Hurley nous permet d’avoir une vue d’ensemble de l’évolution du théâtre montréalais, mais le duo passe beaucoup de temps à raconter l’histoire spécifique du Centaur Theatre et du Théâtre d’Aujourd’hui, les deux institutions qui accueillent cette production. Leurs interventions sont également par moments un brin scolaires.

L’équipe de création est efficace — et divertissante — lorsqu’elle maintient le cap sur l’histoire de Laurence et d’Antoine, même si leur tension paraît parfois feinte, et qu’elle réussit à faire des parallèles avec l’histoire linguistique et politique (tendue) des théâtres à Montréal, par exemple lorsqu’elle fait la démonstration — codes postaux des abonnés du Centaur et du Théâtre d’Aujourd’hui à l’appui — que les anglophones habitent encore aujourd’hui à l’ouest de Saint-Laurent et les francophones, à l’est.

Spectateurs en bus

Durant un trajet en bus d’environ 20 minutes, qui nous mène du Centaur au Théâtre d’Aujourd’hui, la représentation de trois heures se poursuit, avec entre autres la lecture audio d’un extrait de Speak White, de Michelle Lalonde, puis d’un extrait de Speak What, de Marco Micone, qui est la réponse d’un immigrant aux communautés francophone et anglophone. On évoque aussi la pièce The Death of René Lévesque, de David Fennario, un anglophone… qui a voté oui au référendum de 1995.

Est-ce qu’on aurait pu tirer davantage profit de la présence captive des spectateurs dans le bus ? Autrement qu’en évoquant le mariage de Céline Dion en passant devant la basilique Notre-Dame ? Assurément.

PHOTO VALÉRIE REMISE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Les spectateurs sont invités à prendre un bus qui les mène du Centaur au Théâtre d’Aujourd’hui.

La portion de la représentation donnée au Théâtre d’Aujourd’hui est sans doute mieux circonscrite, les interventions filmées d’Alexandre Cadieux et d’Erin Hurley se faisant l’écho des dialogues entre Laurence et Antoine qui se précisent. On apprend également une foule de détails intéressants sur les débuts du Monument-National, fondé pour célébrer « la gloire de la nation canadienne d’expression française d’Amérique », mais occupé par la communauté yiddish… Ou encore sur les pièces programmées par Jean-Claude Germain, dont Une plaie canadienne !.

À la fin de l’exercice, difficile de dire si cette production un peu échevelée répond complètement à sa question de départ, même si on nous mène bien sûr sur quelques pistes, à savoir : pourquoi les communautés théâtrales, francophone et anglophone, évoluent-elles en vase clos ? Mais elle a le mérite de réunir des publics qui, eux, n’ont absolument pas l’habitude de se côtoyer.

Si Cyclorama parvient à attirer ne serait-ce qu’une petite poignée de francophones au Centaur, et inversement des anglophones au Théâtre d’Aujourd’hui (ou dans n’importe lequel des théâtres francophones de la ville), dans de futures productions, eh bien, Laurence Dauphinais pourra se dire : mission accomplie.

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Cyclorama

Cyclorama

Texte et mise en scène de Laurence Dauphinais. Avec Laurence Dauphinais, Antoine Yared, Erin Hurley et Alexandre Cadieux.

Au Centaur et au Théâtre d’Aujourd’hui, Jusqu’au 5 novembre

6,5/10