Laurence Dauphinais développe depuis 10 ans une pratique théâtrale proche du documentaire qui déplace aussi les frontières de la représentation. Elle propose ces prochaines semaines Cyclorama, qui s’intéresse aux deux solitudes théâtrales montréalaises et qui se déroule en partie dans un autobus de la STM, et Si jamais vous nous écoutez, dont la première partie est une expérience numérique que le spectateur peut faire de chez lui.

Elle est issue du programme d’interprétation de l’École nationale de théâtre, mais Laurence Dauphinais est devenue au fil des ans une créatrice qui interroge le réel à travers les possibles de la technologie. Pas parce qu’elle aime les gadgets (« Je ne suis pas une geek », dit-elle), mais parce que ces technologies ont une résonance humaine.

« Quand je voyais l’utilisation des technologies qui était faite sur scène, j’avais souvent l’impression d’une présentation de produit. Ça ne me satisfaisait pas, tranche-t-elle. Avec Maxime Carbonneau [un proche collaborateur pour Si jamais vous nous écoutez, notamment], on a eu envie de les utiliser pour poser des questions philosophiques et les observer dans l’acte théâtral lui-même. »

Siri, l’assistante personnelle d’Apple, était l’interlocutrice de la comédienne dans la pièce du même nom qui explorait la frontière entre l’humain et la machine. Une technologie plus ancienne, la radio, est au cœur d’Aalaapi, documentaire audio transposé sur scène dans lequel cinq amies autochtones racontent leurs vies partagées entre le Sud et le Nord. Si jamais vous nous écoutez, où il est question du Golden Record envoyé en 1977 à bord de la sonde Voyager, possède une composante interactive.

L’envie et la possibilité de créer un lien sont capitales dans l’intérêt que la créatrice porte aux technologies. « La radio, dit-elle en songeant à Aalaapi, c’est une façon pour des gens qui vivent éloignés les uns des autres de se rapprocher. » Et c’est précisément ce qu’elle souhaite faire avec son théâtre : bâtir des ponts entre des communautés et faire naître des conversations nuancées.

Revisiter l’histoire

Son prochain spectacle, Cyclorama, présenté à compter de mardi, s’intéresse aux « deux solitudes » sur la scène théâtrale montréalaise, réalité qui la dérange depuis longtemps. L’idée de creuser l’histoire des deux milieux s’est imposée à elle lorsque le Centaur et le Théâtre d’Aujourd’hui ont eu l’idée d’une coproduction.

« On avait une rare occasion de raconter des récits collectifs qui ne s’entendent jamais, s’enthousiasme-t-elle. Chacune des communautés a son point de vue. Ça permettait de parler de l’histoire, mais aussi de notre rapport à l’histoire. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

L’actrice Laurence Dauphinais en répétition avec l’équipe de la pièce documentaire Cyclorama, en 2020

Proche de la manière du théâtre documentaire, Laurence Dauphinais s’est documentée sur l’histoire du théâtre à Montréal et la fracture entre les anglophones et les francophones. « On a clairement une histoire d’oppression, mais on n’en est plus là, tranche-t-elle. C’est notre responsabilité comme culture dominante de revisiter notre histoire avec ses angles morts et de nous repositionner, de voir qui se sent exclu pour ne pas reproduire les comportements dont nous avons été victimes. »

Au cours de la représentation, les spectateurs passeront du Centaur, dans le Vieux-Montréal, au Théâtre d’Aujourd’hui, rue Saint-Denis, dans des autobus nolisés. C’est le deuxième acte de la pièce. Cyclorama soulève des questions philosophiques et politiques, convient Laurence Dauphinais, mais « dans le plaisir ». « Le show est très drôle, assure-t-elle. Il ne fallait pas que ce soit une expérience lourde, au contraire. »

Pont vers l’univers

Son autre projet qui va éclore cet automne, Si jamais vous nous écoutez (en novembre, au Théâtre Denise-Pelletier), parle d’un autre type de pont. Le spectacle s’intéresse à un projet de la NASA piloté par l’astronome Carl Sagan, le Golden Record, ce disque en or mis à bord de la sonde Voyager pour présenter l’humanité à d’éventuels êtres intelligents vivant ailleurs dans l’univers.

« Ce qui est vraiment beau du Golden Record, c’est que ces gens-là ont fait ça à une époque où c’était encore possible de trouver un consensus et que c’était politiquement acceptable qu’un petit nombre de personnes décident de ce qui représente l’humanité », estime Laurence Dauphinais. Semblable opération serait impensable, selon elle, dans le monde fragmenté dans lequel on vit désormais.

Si jamais vous nous écoutez ne fait pas que raconter cette histoire, il permet au public d’en faire partie : avant d’aller au spectacle, chaque personne est invitée à utiliser une application mobile qui lui permettra de suggérer des images, des sons ou un message qu’elle aurait mis sur le Golden Record. Ces propositions seront intégrées, dans la mesure du possible, à la représentation à laquelle elle assistera.

On vit dans un monde polarisé, où chacun revendique sa singularité. Laurence Dauphinais croit néanmoins possible de trouver une unité « à petite échelle ». Surtout, elle croit à la capacité du théâtre d’être un lieu de rencontre où il est possible de faire avancer la pensée de manière nuancée.

Cyclorama, dès mardi, au Centaur et au Théâtre d’Aujourd’hui

Consultez le site du Théâtre d’Aujourd'hui

Si jamais vous nous écoutez, dès le 9 novembre, au Théâtre Denise-Pelletier

Consultez le site du Théâtre Denise-Pelletier