Le Théâtre Espace Libre présentera le 27 août la mise en lecture de La traversée du siècle, l’adaptation de l’œuvre dramatique et romanesque de Michel Tremblay. Ce projet colossal, réalisé par Alice Ronfard, fera aussi l’objet d’une série balado de six épisodes. Un pan de l’histoire du Québec vu à travers des personnages de « notre » Balzac.

Depuis deux ans, les livres de Michel Tremblay ne quittent pas la table de travail du studio d’Alice Ronfard. Ils sont tous précieusement annotés, surlignés et bourrés de « post-it ». Car elle travaille, avec passion et acharnement, à une adaptation de l’œuvre de Tremblay qu’elle aimerait produire dans un spectacle-fleuve de 12 heures au théâtre… si elle trouve son financement.

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Le bureau d’Alice Ronfard, où les textes de Michel Tremblay prédominent

En attendant, la metteuse en scène se concentre sur la lecture et la série balado avec 18 interprètes, dont Emmanuel Schwartz, Alex Bergeron, Violette Chauveau, Francis Ducharme, Evelyne Rompré, Rachel Graton, Roger La Rue, Dany Boudreault… Après cette lecture-évènement de 12 heures (!) à Espace Libre, Ronfard se penchera sur la balado, avec la même distribution, plus tard à l’automne.

D’abord entamée par André Brassard, qui agit à titre de consultant sur le projet, l’adaptation d’Alice Ronfard s’est transformée en odyssée littéraire dans l’univers de Tremblay. À partir de ses romans et de ses pièces. Un projet gargantuesque dont la « mission » est de tracer « les contours du désir d’émancipation de tout un peuple », de définir « une mythologie du Québec moderne » à partir de l’œuvre de Tremblay. Rien de moins !

« Comme Balzac et Dumas avec l’Histoire française, Tremblay retrace l’histoire du Québec du siècle dernier », explique Mme Ronfard. Pour son adaptation, elle a isolé quatre personnages pivots de l’œuvre du dramaturge et romancier : Victoire, Albertine, Thérèse et Nana. Quatre femmes au centre d’une famille exilée de la campagne à la ville, marquée par la fatalité, la malédiction, telle la lignée des Atrides chez les Grecs.

Michel Tremblay parle du Québec et des femmes, mais l’écrivain est aussi, selon Ronfard, un précurseur de la fluidité des genres, de la diversité sexuelle… bien avant la Fierté LGBTQ+.

Il y a quelque chose de rédempteur dans la prise de parole des marginaux, un appel à l’émancipation d’une communauté résiliente en quête de ses repères identitaires. Et qui espère l’arrivée d’une vague libératrice d’humains guidés par le désir de la reconnaissance de l’autre.

Alice Ronfard

Des thèmes que l’auteur âgé de 80 ans ne se doutait pas lui-même qu’ils faisaient partie de son œuvre, lui demande-t-on : « Oui, assurément, répond Ronfard. Or, j’assume que mon adaptation est politique et féministe. J’aimerais permettre à un public plus jeune et de la diversité, qui ne connaît pas Tremblay, de découvrir son génie inouï, la grandeur de sa prose, la beauté de son monde. »

Entre théâtre et littérature

La traversée du siècle fait intercaler deux modes d’écriture (le théâtre et la littérature). Ils vont se croiser, se contaminer et dialoguer entre eux. Pour ce, Ronfard a puisé dans plusieurs livres et pièces : Albertine en cinq temps, Le passé antérieur, Marcel poursuivi par les chiens, Demain matin, Montréal m’attend, Sainte-Carmen, les Chroniques, La diaspora des Desrosiers, entre autres. Ce qu’elle note chez l’écrivain, c’est « sa capacité de passer du fantastique à l’hyperréalisme, de l’allégorie à la tragédie, de la gravité au comique ».

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Alice Ronfard

En (re)plongeant dans son œuvre, j’ai découvert la beauté de la prose, le souffle romanesque, le côté fantastique. Et son humour.

Alice Ronfard

« En ce sens, Tremblay rejoint mon père [Jean-Pierre Ronfard]. Mon père trouvait toujours quelque chose de ridicule dans le tragique, dit Ronfard. “Le tragique, ça va cinq minutes, disait-il, mais après il faut rire quand même”. »

Tremblay, l’humaniste

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Michel Tremblay

Alice Ronfard estime que la reconnaissance de l’autre est une entité à part entière dans l’œuvre. « Au fond, Tremblay est un humaniste. L’humanisme, c’est tendre vers l’autre, ne pas le juger, essayer de le comprendre dans sa sexualité, son genre, son identité… Et Tremblay est curieux de tout ce qui est humain. »

Après 30 mois d’immersion, peut-elle nous dire, parmi ses nombreux personnages, lequel représente le mieux le fils de La grosse femme ? « Michel Tremblay, c’est Marcel. Car Marcel incarne son rapport à la création, à la musique, à l’imaginaire, à la fantaisie. Dans Un objet de beauté, au chapitre Le jugement dernier, Marcel se prend pour le plus grand peintre du Quattrocento : Léonardo de Vinci, qu’il rebaptise Marcello del Plato Monte-Royale ! »

Le barde du Plateau est à la fois notre Balzac, notre Molière et notre de Vinci.

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Deux fois Tremblay au cinéma

Belles-sœurs

L’œuvre de Michel Tremblay est également au cœur de deux projets de longs métrages québécois. Au printemps 2023, le metteur en scène René Richard Cyr tournera l’adaptation au cinéma du spectacle Belles-sœurs qu’il a créé avec Daniel Bélanger en 2010 au Théâtre d’Aujourd’hui.

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Denise Robert, productrice chez Cinémaginaire

Piloté par la productrice Denise Robert, le film sera un drame musical qui prendra des libertés par rapport à la version scénique. Celle-ci mettait en vedette Guylaine Tremblay, Maude Guérin et Marie-Thérèse Fortin. « Je me sens privilégiée de pouvoir produire ce film », a confié Denise Robert lors de l’annonce de son financement par la SODEC. « C’est un projet auquel je rêve depuis très longtemps. Au Québec, on fait des drames, des comédies, des films d’horreur et d’animation, mais on n’a jamais réellement fait de comédie musicale. » La date de sortie de Belles-sœurs sera annoncée plus tard.

Par la porte d’en avant

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Le cinéaste Émile Gaudreault

De son côté, le réalisateur et scénariste Émile Gaudreault travaille sur un projet de long métrage à partir de l’œuvre de Michel Tremblay. Le réalisateur de Menteur et De père en flic coécrit le scénario avec Éric K. Boulianne. Le titre de travail du film, encore à l’étape d’écriture, est Par la porte d’en avant. Une référence à la célèbre réplique de Lise Paquette dans Les belles-sœurs : « Chus venue au monde par la porte d’en arrière, mais m’as donc sortir par la porte d’en avant ! »