Dramaturge et acteur d’origine burkinabé, Étienne Minoungou est un habitué des grands festivals internationaux de théâtre. Ces jours-ci, il est à Montréal dans le cadre du FTA pour présenter le spectacle solo Traces – Discours aux nations africaines. Entretien avec l’homme de théâtre qui partage sa vie entre Bruxelles et Ouagadougou.

Traces en quelques mots

« C’est une forme d’odyssée, dit Étienne Minoungou. C’est le voyage initiatique d’un homme qui part de chez lui (en Afrique), qui traverse le désert, la Méditerranée et qui arrive aux portes de l’Europe. Là, il va se rendre compte de toutes les difficultés qu’un homme (immigrant) comme lui rencontre. Il va réfléchir à sa propre condition et retourner chez lui. Quand il retrouve sa communauté, il a des choses à lui dire. Il veut parler des blessures et des meurtrissures de notre histoire, des rencontres traumatiques que nous avons eues avec l’Occident et des fureurs que nous avons à l’égard de nos gouvernants qui tentent de briser notre élan de vie.

« En même temps, cet homme a autre chose à dire. Il veut dire que le continent africain possède en lui-même tous les éléments nécessaires à la réparation du monde. Malgré l’histoire et tout ce que nous avons vécu, l’une des solutions pour l’avenir du monde se trouve en Afrique, par le rêve, l’élan et le labeur de ses fils et de ses filles.

« Il y a des phrases dans le texte de Felwine Sarr qui sont très révélatrices de la pensée de cet homme, notamment : “il faut tourner notre visage vers le soleil”. Aussi : “Il faut réarpenter la trace”, c’est-à-dire recultiver notre mémoire, car nous avons le devoir de faire de cette trace une lumière pour tout le monde. La marche des peuples vers l’émancipation, c’est une lutte de l’histoire, mais nous ne pouvons pas charrier tout le temps les ombres. C’est une marche vers la lumière qu’il faut faire. »

Le théâtre, un art essentiel

« Dans ma langue, explique Étienne Minoungou, le théâtre est désigné par une formule qui signifie littéralement : “Viens, nous allons échanger pour élargir la famille, la parenté.” Pour moi, le théâtre rejoint ce que les Grecs voulaient. Cette agora, cet espace, la catharsis… Ce lieu où la société se regarde elle-même à travers un miroir pour se questionner. Quand ça nous manque, on se rend bien compte que cet espace de discussion sociale est essentiel. Il y a une dimension de la respiration d’une communauté qui est absente. Le théâtre élève nos vies.

« La première force du théâtre, c’est l’assemblée, c’est le coude-à-coude. C’est irremplaçable. C’est pour cette raison qu’on peut tisser un parallèle entre le foot et le théâtre ! Les grands supporteurs de football ne regarderont jamais la retransmission en direct de la Ligue des champions s’ils ont la chance de pouvoir aller au stade. C’est la ferveur et la montée d’adrénaline collective qui font le match. Et au théâtre, c’est pareil ! »

L’acteur noir en Occident

« C’est encore un combat à mener, laisse savoir Étienne Minoungou, notamment en Europe occidentale. La couleur est toujours un marqueur, un signe. C’est difficile si la couleur devient un signe dramaturgique, car vous imaginez bien que tout le répertoire du théâtre occidental se ferme (pour les acteurs afrodescendants). À moins de jouer Othello… Il faut dépasser la couleur comme signe dramaturgique et concéder que l’acteur peut tout jouer.

« Ce combat est aussi le signe de l’ouverture, ou non, de l’imaginaire occidental, qui reste marqué par l’histoire. L’Occident a du mal à se défaire du passif négatif de son histoire. La représentation du Noir est chargée par rapport à tous les référents qui l’ont construite, depuis l’esclavage jusqu’à aujourd’hui. C’est très difficile de s’en défaire.

« La lutte des acteurs afrodescendants qui essaient de déconstruire cet imaginaire pour proposer une nouvelle façon de regarder les choses est absolument essentielle. Ce n’est pas vrai qu’on a dépassé certains détails de l’histoire collective. La preuve : le mouvement Black Lives Matter nous a révélé que nous sommes encore inscrits dans cette crispation qui est si difficile à changer.

« Il faut que les lieux de représentation comme les théâtres soient à l’avant-garde pour déconstruire tout cela. »

Traces – Discours aux nations africaines est présenté du 3 au 5 juin à la Maison Théâtre.

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