« Fini, le boys club ! Bye, les vieux croûtons ! », lance la Dre Katrine Stockmann, dans l’adaptation d’Un ennemi du peuple, pièce créée en… 1883, à Oslo, et revisitée ces jours-ci au Théâtre du Nouveau Monde (TNM). Dont acte. Ce classique du répertoire sera aussi actuel ou ne sera pas.

Entre les mains d’Édith Pathenaude (à la mise en scène) et de Sarah Berthiaume (au texte), cette coproduction du Trident et du TNM nous rappelle une autre lecture contemporaine de l’œuvre d’Ibsen. Celle de l’Allemand Thomas Ostermeier, à travers son spectacle inoubliable vu au Festival TransAmériques à Montréal, en 2013. Toutefois, la comparaison s’arrête là.

Dans la version qui a pris l’affiche cette semaine, le personnage principal d’Ibsen a changé de sexe. Thomas est devenue Katrine, une docteure « bobo » (jouée avec brio par Eve Landry, on y reviendra). Elle habite une maison confortable, avec des tableaux modernes. Son conjoint est un homme à la maison qui adore cuisiner du hareng et déguster de bons vieux scotchs avec ses invités.

La scène se passe dans une station thermale en Norvège. Katrine Stockmann est revenue s’installer dans sa ville natale. Elle travaille comme médecin dans l’établissement Les Bains, dirigé par son frère, homme de pouvoir, aussi maire de la municipalité. La source « miraculeuse » a relancé l’économie locale. Or, Katrine a des doutes sur la qualité de l’eau. Elle décide de faire des analyses. Son rapport confirmera que l’eau est contaminée et nocive pour la santé.

Katrine Stockmann décide d’alerter les autorités et de publier un extrait du rapport dans le journal. D’abord solidaire, la population va lui retirer son appui quand elle réalise que la vérité met en péril l’économie locale. Nous voilà donc plongés au cœur d’un scandale sanitaire, d’une crise politique, écologique et sociale. Or, il n’y a pas de courage politique sans courage moral, dit-on. Et rien ne freinera l’élan de Katrine dans sa quête de vérité.

Mise en scène survoltée

Dans leur (re)lecture, les créatrices n’ont pas lésiné sur les moyens pour nous faire ressentir l’actualité brûlante de la pièce : la corruption des élites, la manipulation, la désinformation, la majorité silencieuse qui n’a jamais été aussi bruyante. Si l’action se déroule dans les années 1960 (le mobilier rétro du salon rappelle le décor des Beaux dimanches, de Marcel Dubé), la production multiplie les clins d’œil et les anachronismes. Et s’adresse à ses contemporains.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Steve Gagnon et Eve Landry sont tous deux excellents dans cette production survoltée.

La mise en scène cacophonique, survoltée, amplifie l’intrigue jusqu’au grotesque. Il y a une surenchère, un débordement d’action tant sur scène que dans la salle. Les interprètes sont visibles des coulisses et les techniciens de scène interviennent, manipulant bruyamment des accessoires. Les chaises se renversent. Et ça tourne même à la foire d’empoigne dans la salle ! Une représentation qui n’est pas de tout repos…

Cette abondance scénique, et la langue très québécisante du texte, mettent un peu à l’arrière-plan le point de vue d’Ibsen sur la société. Mais elle nous réserve des moments amusants et de savoureux numéros d’acteurs. Eve Landry est convaincante en Katrine Stockmann. Cette comédienne peut s’embraser avec fureur. Pas de doute, la vedette d’Unité 9 est une grande actrice née pour jouer de grands premiers rôles au théâtre. À la fois drôle et détonant, Steve Gagnon incarne un rédacteur en chef et intellectuel « de gauche », assez pervers merci. Dominique Pétin (une commerçante qui exprime maladroitement la voix du peuple) livre l’une de ses meilleures prestations sur les planches.

À l’image de cette héroïne luttant pour changer les choses, cette production pleine de fulgurances est une proposition sans compromis, qui ouvre plusieurs pistes de réflexion.

Un ennemi du peuple
De Henrik Ibsen
Adaptation de Sarah Berthiaume, mise en scène d'Édith Patenaude
Au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal, jusqu’au 9 avril
Au Trident, à Québec, dès le 19 avril

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