Fin observateur des travers de notre société, le dramaturge Olivier Choinière a trouvé dans les évènements du printemps érable une inspiration durable, qui le porte encore 10 ans plus tard. À preuve : sa plus récente pièce, Zoé, en est un instantané.

Dans cette pièce d’abord présentée au Théâtre Denise-Pelletier en 2020 – et qui sera reprise à compter du 10 mars prochain à travers le Québec –, deux personnages s’affrontent. Zoé est élève au cégep et a obtenu une injonction pour poursuivre ses cours malgré la grève générale illimitée qui a été votée. Luc est professeur de philosophie et se voit contraint d’enseigner à cette jeune femme qui heurte son système de valeurs. Entre cette fière « carré vert » et ce « carré rouge » de cœur, aucun dialogue ne semble possible. Et pourtant…

« Cette histoire a mûri chez moi pendant des années, raconte Olivier Choinière. Pendant le printemps érable, j’ai rencontré des professeurs de philo qui avaient été obligés d’enseigner à des étudiants qui avaient fait des demandes d’injonction de la cour obligeant le collège à leur donner leurs cours. Je trouvais ça à la fois absurde et fascinant comme situation… J’ai donc fait quelques entrevues en prévision d’en faire un spectacle. » Le texte, publié par Atelier 10, a été finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général (catégorie théâtre) en 2020.

PHOTO GUNTHER GAMPER FOURNIE PAR LE THÉÂTRE L'ACTIVITÉ

Zoé Tremblay-Bianco interprète le rôle-titre de la pièce d’Olivier Choinière, Zoé.

Or, bien avant la naissance de Zoé, le printemps érable avait laissé une empreinte indéniable dans son œuvre. « Dès 2013, dans ma pièce Mommy, il y avait des clins d’œil évidents à l’actualité et au mouvement étudiant. Le personnage de l’aïeule sermonnait les jeunes exactement comme le gouvernement pouvait s’adresser à la jeunesse pendant cette période. De plus, la pièce Ennemi public traitait entre autres de clivage. »

C’est le fruit direct de l’impact que la situation du printemps érable a pu avoir dans la société, puis dans ma famille : les conversations qu’on avait autour de la table étaient extrêmement polarisées. Pour cette pièce, c’est comme si j’avais mis l’enregistreuse sur la table pour enregistrer ma famille…

Olivier Choinière, dramaturge et metteur en scène

« Indéniablement, il m’est resté quelque chose du printemps érable, et ce, malgré les années qui passent », souligne-t-il.

PHOTO VALÉRIE REMISE, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE L’ACTIVITÉ

Présentée en 2015, la pièce Ennemi public abordait le thème du clivage au sein d’une même famille.

L’homme de théâtre a rapidement affiché ses couleurs en 2012. Dès le mois de mai, alors que les rassemblements de plus de 50 personnes étaient toujours considérés comme illégaux, il a pris la parole pendant le Festival TransAmériques en lisant un texte sans équivoque en appui au mouvement étudiant.

L’histoire qui se répète

Aujourd’hui encore, le clivage de la société observable au printemps 2012 et l’impossibilité de toute forme de dialogue entre les différents clans le fascinent. « Il y avait au départ des zones grises et des complexités, mais à un moment donné, la conversation est tombée dans les extrêmes. Les générations étaient montées les unes contre les autres. C’était épeurant d’observer ça. »

Il poursuit : « Quand le gouvernement a dit que le carré rouge symbolisait la violence, par exemple, il y a eu une certaine forme de propagande qui a eu des répercussions dans les médias et dans les conversations qu’on avait en société ou dans l’intimité. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Cet évènement est venu cristalliser ce qui est en train de se reproduire aujourd’hui avec la COVID et le mouvement antimasque ou antivax. La conversation, soudainement, n’est plus possible.

Olivier Choinière, dramaturge et metteur en scène

« La grande question pour moi aujourd’hui est de savoir comment on arrive à réconcilier ou pas les libertés individuelles et les libertés collectives. Les deux étaient déjà en opposition en 2012 : une majorité d’étudiants étaient dans la rue pour s’exprimer, mais d’autres, comme Zoé, disaient : “Non, j’ai des droits. J’ai le droit d’étudier.” Et cette opposition entre le collectif et l’individuel est encore présente de nos jours, avec ceux qui refusent de porter le masque, par exemple. »

Il trace aussi un parallèle entre les rassemblements illégaux de 2012 et les mesures sanitaires imposées par la pandémie, qui limitent le nombre de personnes pouvant se rencontrer en chair et en os. « L’importance du rassemblement était déjà en jeu en 2012, et 10 ans plus tard, pour d’autres raisons et dans d’autres contextes, on est encore dans le même cas de figure. L’importance du rassemblement est indéniable pour le théâtre, mais il l’est aussi pour toute la société. Pour moi, cette question reste très virulente.

« Le printemps érable a été un mouvement historiquement important dans une société qu’on dit pas très impliquée ni très engagée. Le mouvement est parti des étudiants, mais a essaimé ailleurs au sein de la population en général. Il y a eu, je pense, un réveil collectif important. Mais on a aussi pu voir le visage autoritaire et agressif du gouvernement, à mon sens. On voit que tout peut changer rapidement en société. D’ailleurs, j’ai l’impression que la présence policière a beaucoup augmenté à Montréal depuis 2012 !

« C’est un moment de crise sociale qui a révélé beaucoup de choses, dans notre rapport à autrui, dans la façon dont on regarde les autres générations et dans ce qu’on considère comme important ou pas en tant que société. L’éducation, par exemple, n’est peut-être pas une valeur aussi importante qu’on le pense… »