Après les annulations de l’été 2020, le théâtre d’été sort ces jours-ci de sa très longue hibernation. Jouant de prudence à cause de la pandémie, la plupart des compagnies ont misé sur des productions plus modestes que prévu, mais elles seront au rendez-vous. Aperçu d’un été… de renaissance.

« Dans le Bas-du-Fleuve, c’était la folie ! Il y avait quelque chose de très émotif », raconte André Robitaille, qui a présenté en compagnie de Jean-Michel Anctil la pièce Des cailloux plein les poches dans une mise en scène de Normand Chouinard le week-end dernier à Amqui, Rivière-du-Loup et Rimouski devant des salles « combles », mais où les spectateurs étaient assez parsemés, pour éviter toute transmission du coronavirus.

PHOTO FOURNIE PAR MONARQUE PRODUCTIONS

André Robitaille et Jean-Michel Anctil jouent dans Des cailloux plein les poches, une production de Monarque.

Pour l’acteur, qui est aussi producteur de la pièce avec la boîte Monarque, ces premières représentations ont en quelque sorte lancé la saison estivale, qui se poursuivra en juillet et en août notamment à la Maison des arts de Drummondville et au Théâtre Hector-Charland de L’Assomption, les deux salles où Monarque a l’habitude de présenter des pièces. En plus de l’adaptation québécoise de l’œuvre de Marie Jones, Monarque produit aussi Le curieux destin d’Marcel, un spectacle solo de Marcel Lebœuf mis en scène par Luc Senay, qui a commencé à tourner au Québec à la mi-mars.

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Marcel Leboeuf présentera cet été Le curieux destin d’Marcel.

Après un arrêt forcé de 53 semaines, le producteur Jean-Bernard Hébert est lui aussi soulagé de retrouver le public, avec la pièce Oleanna, de David Mamet, mettant en vedette Raymond Cloutier et Catherine de Léan. « Le soir de la première à Gatineau [le 18 mars, à la salle Odyssée], je pleurais comme un enfant avec les comédiens », raconte celui qui est aussi propriétaire du Théâtre de Rougemont et du Théâtre des Grands Chênes, à Kingsey Falls. La pièce tournera un peu partout au Québec pendant les beaux jours.

Pour la relance, Jean-Bernard Hébert a renoncé à produire Huit femmes. D’abord prévue en 2020, la pièce ne prendra finalement l’affiche qu’en 2022.

PHOTO LES PRODUCTIONS JEAN-BERNARD HÉBERT

D’abord prévue en 2020, la pièce Huit femmes, produite par Jean-Bernard Hébert, ne prendra finalement l’affiche qu’en 2022.

En ce moment, monter un huis clos policier avec huit comédiennes, dont Béatrice Picard qui a 91 ans, c’est un peu risqué. Je préfère y aller avec une petite production, sans décor, qui permet de garder la distanciation sur scène comme dans les coulisses et qui ne représente pas un trop grand risque financier.

Jean-Bernard Hébert, producteur

Même approche pour Monarque, qui a reporté à 2022 les productions Le dîner de cons et Les voisins. « Ces pièces-là, en gardant les comédiens à deux mètres les uns des autres, ça ne se peut pas ! lance André Robitaille. Au moins, on s’est adaptés. C’est vraiment de l’ouvrage, mais on est un petit peu fiers, parce qu’on aurait pu attendre que tout soit passé avant de recommencer ! »

À Eastman, Marc-André Coallier a lui aussi trouvé un moyen de rouvrir le Théâtre La Marjolaine, même si la création de la pièce Kilimandjaro, de Mario Jean, planifiée l’an dernier, ne se fera pas avant l’an prochain.

Marc Messier a accepté de venir roder son spectacle chez nous pendant 15 soirs. Avec autour de 90-95 places sur 300, j’ai décidé de ne pas faire une production qui coûte cher.

Marc-André Coallier, propriétaire du Théâtre La Marjolaine

Pour célébrer le 60e anniversaire du plus vieux théâtre d’été du Québec, Marc-André Coallier promet d’organiser aussi quelques happenings dans la grange de 1889. « Je vais raconter, avec des chanteurs et des musiciens, l’histoire de ce théâtre qui a vu passer Guy Sanche, Claude Léveillée, Andrée Lachapelle, Jean-Louis Millette, et des plus jeunes comme Denis Bouchard, Sylvie Léonard, Normand Brathwaite et Marc Labrèche… qui a même travaillé au restaurant. Il y aura aussi des lectures de pièces qui ont marqué La Marjolaine, avec quelques acteurs. »

D’autres diffuseurs vont également de l’avant, comme le Théâtre des hirondelles de Saint-Mathieu-de-Belœil, qui annonce le retour de la pièce Camping tout inclus.

Mais tous les théâtres d’été n’ont pas annoncé la reprise de leurs activités. Le Théâtre Beaumont-St-Michel, dans Bellechasse, n’a pas lancé la vente de billets en février comme il le fait normalement. S’il faut en croire le message diffusé sur son site, une réouverture reste toutefois possible. À Saint-Jean-Port-Joli, La Roche à Veillon ouvrira son restaurant pour servir des repas de cabane à sucre ce printemps, mais ne pense pas être en mesure de présenter un spectacle estival…

300 000 spectateurs par année

Le théâtre d’été a beaucoup changé ces dernières années, au point où certains préfèrent maintenant parler de « théâtre en été », rappelle Jean-Bernard Hébert, engagé depuis 20 ans dans l’Association des producteurs de théâtre privé (APTP), qui regroupe une quinzaine des principaux acteurs de cette industrie.

PHOTO TIRÉE DU BLOGUE DU PRODUCTEUR

Jean-Bernard Hébert

« Le modèle a changé et certains sont disparus, faute de créativité, dit-il. Des producteurs ne veulent plus de salle, d’autres restent attachés à leur grange et il y a encore de petites compagnies aux quatre coins du Québec… Il y en a pour tous les goûts maintenant, même à Montréal, où les productions estivales, notamment avec Juste pour rire et le TNM, ont connu un retour en force. »

Avant la pandémie, estime l’APTP, l’industrie du théâtre d’été attirait 300 000 spectateurs par an, et générait entre 500 et 700 emplois pour les créateurs, sans compter ceux réservés aux placiers ou aux préposés à la billetterie, et des retombées économiques qui se calculent en millions, notamment pour les restaurants et les hébergements qui avoisinent les lieux de diffusion.

Bien sûr, il y aura beaucoup moins de spectateurs au rendez-vous l’été prochain, mais si les variants ne jouent pas les trouble-fête, il y en aura, et c’est ce qui compte, se réjouit Jean-Bernard Hébert. « Fermer deux étés, ç’aurait été très dur. Maintenant, on a juste vraiment hâte que tout le monde soit vacciné ! »