La comédienne Michelle Rossignol, bien connue pour son rôle de Véronique O’Neil dans la série télévisée Des dames de cœur et qui a laissé une immense empreinte dans le monde du théâtre québécois, tant dans son jeu, dans ses mises en scène, dans son enseignement que dans sa direction, s’est éteinte lundi matin des suites d’un cancer à l’âge de 80 ans.

« C’est une tragédie, résume le comédien et metteur en scène Yves Desgagnés. Une tragédie parce que Michelle Rossignol a eu une influence décisive et déterminante sur de nombreuses carrières d’acteurs. Ce matin [lundi], nous nous sommes parlés, les neuf finissants de 1978 de l’École nationale de théâtre, et je peux vous dire que nous sommes bouleversés. »

Le metteur en scène René Richard Cyr, qui a succédé à Mme Rossignol au Théâtre d’Aujourd’hui, était tout aussi intense dans son hommage. « Elle a porté les créateurs québécois, et notamment les femmes, à bras le corps, lance-t-il. Toute la culture d’identification du Québec, elle l’a portée en elle. Et son apport le plus grand a été son enseignement. Elle était exigeante comme ça ne se peut pas. Envers elle comme envers les autres. »

« J’étais à l’École nationale de théâtre quand elle dirigeait. On ne se côtoyait pas, mais je suis touchée, dit Sylvie Drapeau. C’est incroyable qu’elle parte le lendemain de Monique [Mercure]. Elles étaient des femmes de la même influence, de la même époque. »

Un rôle significatif

Fille de la journaliste Lise Rossignol, Michelle Rossignol a consacré toute sa vie au jeu. Née le 4 février 1940, elle décroche un premier rôle important, celui de Manouche dans la série Le Survenant, dès 1956.

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Un article de Radiomonde et télémonde du 5 décembre 1959 indique que Michelle Rossignol retourne à Paris.

Elle décroche vite d’autres rôles, dans le téléfilm Un simple soldat, les séries Le Grand Duc, Filles d’Ève et Marcus.

En 1968, elle est de la distribution du long métrage Poussière sur la ville d’Arthur Lamothe. Trois ans plus tard, on la retrouve dans le film La nuit de la poésie de Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse.

C’est aussi en 1971 que Michelle Rossignol entre dans l’univers de Michel Tremblay. Elle incarne Pierrette Guérin dans Les belles-sœurs au Rideau Vert. Un an plus tard, elle est l’une des Françoise Durocher du court métrage Françoise Durocher, waitress d’André Brassard, d’après un texte de Tremblay. On la verra aussi en Pierrette Guérin dans le film Il était une fois dans l’Est du tandem Tremblay/Brassard.

Joint lundi, André Brassard s’est souvenu du souffle, de la conviction, de l’enthousiasme de la comédienne.

Michelle, c’était comme un grand vent, une grosse pluie. Dans son travail avec moi, son plus beau rôle a été Sainte Carmen de la Main [autre pièce de Tremblay sortie en 1976].

André Brassard

Michelle Rossignol pouvait jouer de grands classiques, elle avait visiblement un fort penchant pour le théâtre québécois, et plus particulièrement pour les créations. Elle participera ainsi au baptême scénique de pièces telles Les oranges sont vertes de Claude Gauvreau, Les beaux dimanches de Marcel Dubé et Sophie et Léon de Victor-Lévy Beaulieu, peut-on lire sur le site de l’Ordre national du Québec, dont elle a été faite Chevalière en 2001.

En 1978, elle fait ses premiers pas dans la mise en scène avec la pièce La complainte des hivers rouges de Roland Lepage au théâtre du Trident. Elle y dirige Léo Munger, Marie Tifo, Denise Dubois et… Monique Mercure. Les deux femmes ont longtemps été très proches et ont travaillé ensemble.

Enseigner

Michelle Rossignol amorce sa carrière en enseignement au début des années 1970. Elle est adjointe à la direction de la section interprétation de l’École nationale de théâtre (ENT) du Canada de 1971 à 1980 avant de prendre la direction de la section interprétation et écriture de 1980 à 1986.

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Michelle Rossignol et Gilles Renaud dans La conquête (1973)

Le comédien Gilles Renaud a passé de longues années à ses côtés à l’ENT. « Nous avions joué ensemble dans le film La conquête de Jacques Gagné et au théâtre, notamment dans Oncle Vania. Dans les années 1980, nous avons travaillé de très près à l’École nationale de théâtre où je lui ai succédé, dit-il. Je pense que dans sa tête, j’étais son dauphin. Quand elle a décidé de partir, elle m’a dit de présenter ma candidature et qu’elle allait m’appuyer. »

Tout aussi fier est René Richard Cyr, qui a succédé à Michelle Rossignol à la direction artistique du Théâtre d’Aujourd’hui. « C’est ça, notre théâtre national qui présente des créations d’ici, dit-il. Elle a pris ce théâtre qui était dans le fond de la rue Papineau pour l’amener là où il est, rue Saint-Denis. »

À la fin de mars 1998, après une longue absence, Mme Rossignol remonte sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui, dont elle est la directrice artistique depuis 10 ans, pour jouer dans la pièce La peau d’Élisa, une création de Carole Fréchette. « Je constate que j’adore toujours jouer et que je me suis beaucoup éloignée de la scène ces dernières années », confie-t-elle alors au journaliste Raymond Bernatchez de La Presse.

Moins de deux mois plus tard, elle annonce qu’elle quitte son poste au Théâtre d’Aujourd’hui afin de renouer avec sa carrière de comédienne.

Des dames de cœur

Avec Andrée Boucher, Luce Guilbeault et Louise Rémy, Michelle Rossignol devient une des quatre inséparables amies dans le téléroman Des dames de cœur de Lise Payette qui devient un immense succès à la télévision de Radio-Canada de 1986 à 1989.

Michelle Rossignol y défend le rôle de Véronique O’Neil. Sur le site internet Qui joue qui, on précise que si Véronique est mariée avec François (Pierre Curzi), très fier de sa femme, elle a un faible pour Gilbert Trudel (Michel Dumont).

Dans les années 2000, après son départ du Théâtre d’Aujourd’hui, elle obtient quelques rôles comme dans le film Au fil de l’eau de Jeannine Gagné en 2002, dans la pièce Tout comme elle de Brigitte Haentjens en 2006 ou Bacchanale d’Olivier Kemeid au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTDA) en 2008.

Sa dernière pièce aura été Bob de René-Daniel Dubois au CTDA en novembre 2008. « J’ai eu le privilège de la diriger dans cette pièce de quatre heures et elle assumait parfaitement son rôle », souligne René Richard Cyr.

Le cinéaste François Delisle l’a dirigée deux fois, dans ses films Toi (2007) et Deux fois une femme (2010), un des derniers sinon le dernier rôle de sa vie.

C’était un atout de l’avoir avec soi, car elle était autant engagée dans son personnage que dans le film. Mes films sont basés sur la performance d’acteurs et après l’avoir découverte dans Toi, j’ai écrit un rôle sur mesure pour elle dans Deux fois une femme.

François Delisle

Parmi les reconnaissances qui lui ont été décernées au cours de sa vie, notons l’Ordre du Canada, le prix Gascon-Thomas de l’ENT, le trophée des Coopérants dans le secteur de la culture et le prix Victor-Morin des arts de la scène remis par la Société Saint-Jean-Baptiste.

« Cette grande nationaliste récipiendaire du prix Victor-Morin est morte la Journée nationale des patriotes », relève Yves Desgagnés.

— Avec Luc Boulanger et Mario Girard, La Presse