Vous la connaissez tous : cette mère socialement baisable, star incontestable des sites pornos. Cette femme à la maternité prétendument réussie, avec son ventre plat, ses seins généreux et ses fesses rebondies, objet de désir universel. Mais qui est-elle ? Eh bien, la voici. Parions qu’elle ne ressemble pas à ce que vous imaginiez dans la vraie vie.

M.I.L.F., présentée ces jours-ci au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, n’est pas une pièce sur le sexe. Enfin si, un peu (beaucoup) quand même, mais disons que la sexualité, la pornographie et ses retombées dans nos vies ne sont en fait que le point de départ d’une réflexion drôlement plus poussée. Parce qu’au-delà du cul, des désirs inassouvis et des lendemains de veille ratés, c’est surtout des femmes qu’il est question : de leur maternité, avec leurs hauts, mais surtout leurs bas. Soyez avertis : c’est cru, c’est souvent sale, et ça fait mal.

C’est « frontal », résume l’autrice, poétesse et slameuse Marjolaine Beauchamp, également ici interprète, rencontrée la semaine dernière, à quelques jours de la première. Frontal et, espère-t-elle, « cathartique ». Car oui, mesdames (et messieurs ?), vous risquez de vous y reconnaître, à différents niveaux. Avec les doutes, les questionnements, les pertes de contrôle, et tout ce qu’on a tendance à taire, généralement. Tout, au cube. Pensez : cacas, haine de ses enfants et haine de soi. Avec, au passage, fantasmes d’hommes riches ou d’hommes noirs, au choix.

L’idée de Marjolaine Beauchamp de s’attaquer au sujet de la « sexualité post-maternité » dans un texte qui se lit et s’écoute comme de la poésie n’est pas innocente. « J’ai été célibataire rapidement après mon deuxième enfant et j’ai passé cinq ans seule. J’ai eu un rapport très conflictuel avec mon corps, confie-t-elle. J’avais honte de mon corps, je n’étais pas capable de me donner… » 

D’où sa réflexion : comment est-il possible d’avoir honte d’un corps qui vient d’accomplir l’une des réalisations les plus exceptionnelles qui soient ? Comment se départir du modèle de cette MILF « qui a réussi sa maternité seulement parce qu’elle a préservé son corps ? C’est quoi, ce modèle-là de la mère ? », se demande l’autrice.

Pour ce faire, elle a sondé une foule de femmes, d’abord sur Facebook, puis lors d’une soirée dildo/tupperware. Sa recherche l’a menée à dresser trois archétypes de la mère : outre la MILF (mother I’d like to fuck, mère que j’aimerais baiser), elle a découvert la MILK (mother I’d like to kill, mère que j’aimerais tuer, ou mère parfaite sur tous les plans) et inventé la MILS (mother I’d like to save, mère que j’aimerais sauver).

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

M.I.L.F., présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, s’attaque au sujet de la « sexualité post-maternité ».

Sa pièce, construite comme une série de tableaux, des polaroïds du quotidien, alterne entre les monologues de ces trois personnages, à la fois stéréotypés et interchangeables. On est ainsi plongé dans la réalité la plus crue de la mère aux prises avec une couche (encore) pleine ou de la maîtresse qui revient d’une soirée qui a (très) mal viré. On est loin, très loin du glam de la maternité véhiculé sur Instagram.

« C’est pas esthétique, c’est le real shit ! », confirme Marjolaine Beauchamp, qui, fidèle à son parti pris, met en scène des femmes issues ici de milieux populaires. Ce n’est pas la première fois. Certainement pas la dernière. 

Chaque fois que je vais pouvoir en parler, je vais en parler. Parce que si je n’avais pas été en art, j’aurais été en sociologie. Je m’intéresse aux transfuges de classe, [aux raisons pour lesquelles] certains ont plus le droit de faire partie du monde que d’autres. Moi, j’ai un pied dans les deux mondes, alors j’ai une posture intéressante.

Marjolaine Beauchamp, autrice

Comme de fait, elle sait de quoi elle parle : Marjolaine Beauchamp habite dans un quartier pauvre de Hull, entouré de HLM. Ce milieu, elle le connaît. Elle le côtoie. Elle en est issue. Ça paraît, et elle sonne vrai : « J’aime ça, aller dans le monde pop, un peu boudé, pas pour en extraire le meilleur, mais juste pour le vivre, revendique-t-elle. Je ne veux pas caricaturer, mais montrer des craques de lumière. »

Parlant de craques, il y en a, effectivement. Fort heureusement. Après les corps « scrapés » ou « passés date », le post-partum et le baloney, après les mères « pu capables », M.I.L.F. propose aussi, surtout, des mères « brigades ». Des mères solidaires, un peu « punk » et « désacralisées », certes « croches », mais unies. Et d’autant plus fortes. 

Dans une tirade finale qui promet de tirer une larme (ou deux) aux spectateurs, M.I.L.F. lance un cri du cœur franchement rassembleur. Dans le texte, ça donne quelque chose comme ça : « On s’fait une brigade de toutes croches […], une brigade de mères HLM en joggings pis en leggings […], des filles de promesses tenues, crissement pas fiables mais si loyales. Des filles qui partent des feux en pleine pluie, des filles les cheveux lousses, ultraviolets, autodidactes et irrévérencieuses. On s’fait ça maintenant. On se r’posera plus tard. »

M.I.L.F., de Marjolaine Beauchamp, mise en scène de Pierre Antoine Lafon Simard, création du Théâtre du Trillium, à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 18 février au 7 mars