Avant de donner son aval à l’adaptation théâtrale de son tout premier roman, Réjean Ducharme avait fait part d’un souhait à la metteure en scène Lorraine Pintal : que L’avalée des avalés soit présentée dans de petites salles, pour préserver l’intimité du livre.

Les circonstances que l’on sait auront permis de respecter au-delà de l’imaginable le souhait du grand écrivain, puisque c’est dans l’intimité de son salon que chaque spectateur peut découvrir ce spectacle.

En effet, après un passage très remarqué au festival OFF Avignon et des reprises à Paris en 2018, la pièce est présentée en webdiffusion par le Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 17 décembre.

Lorraine Pintal, qui connaît bien l’univers ducharmien pour avoir déjà dirigé HA ha !… , Inès Pérée et Inat Tendu et L’hiver de force, s’est chargée de l’adaptation et de la mise en scène de ce texte qui figure parmi les plus puissants de la littérature québécoise. Sur la musique de Robert Charlebois (la pièce s’ouvre avec Tout écartillé…), on y rencontre Bérénice Einberg, jeune juive de 11 ans au caractère revêche et bouillant. Celle qui se proclame contre l’amour, « car aimer, c’est subir », voue une admiration sans bornes à son frère Christian avec qui elle rêve de partir au bout du monde, loin de cette « vacherie de vie »…

Dans le rôle de Bérénice, Sarah Laurendeau est époustouflante de justesse, d’énergie et d’émotions. Elle gronde de colère, réclame l’attention de sa mère — qu’elle a surnommée Chamomor — avant de la repousser vivement, crache sa révolte et multiplie les ruses pour garder l’affection de son frère, happé par l’âge adulte.

Le tout avec dans la bouche la prose magnifique et fulgurante de Ducharme, que l’interprète maîtrise avec un grand talent. Pendant une heure trente, les mots coulent, s’enroulent et se déploient, nous laissant dans un état d’hypnose. Une performance remarquable !

Louise Marleau est impériale dans le rôle de la mère alcoolique, qui souffle le chaud et le froid sur sa fille, lui préférant de toute évidence son garçon, catholique comme elle… Benoît Landry est aussi très convaincant dans le rôle du grand frère déchiré entre son amour pour sa petite sœur et son désir d’émancipation. À noter : le comédien et musicien a aussi signé la bande sonore, très réussie, de la pièce.

Lorraine Pintal a su brider ce véritable torrent qu’est L’avalée des avalés avec une adaptation bien mesurée, mais aussi une mise en scène intimiste. Fait intéressant : c’est le cinéaste Charles Binamé qui a conçu les décors, dominés par une boîte verticale, véritable écrin couvert de collages et d’extraits du roman de Ducharme. Bérénice s’y réfugiera par moments pour déverser sa haine ou pleurer sa faiblesse devant l’amour maternel. On ignore quels résultats aurait donnés cette approche minimaliste sur l’immense scène du TNM, mais à l’écran, le charme opère pleinement.

D’ailleurs, si l’on exclut quelques effets de caméra syncopés assez agaçants, la webdiffusion de L’avalée des avalés compte parmi les plus réussies de cet automne théâtral pas comme les autres. Un baume pour ceux et celles qui se languissent du théâtre…

Jusqu’au 17 décembre.

Consultez le site du TNM

★★★★

L’avalée des avalés. D’après le roman de Réjean Ducharme. Adaptation et mise en scène de Lorraine Pintal. Avec Sarah Laurendeau, Benoît Landry et Louise Marleau.