Martin Drainville est bouleversant dans la série Fragile, de Serge Boucher. On le verra aussi au théâtre dans Les Hardings, une pièce autour de la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic, chez Duceppe. À 55 ans, la vedette de Broue n’a plus envie d’épater la galerie. Rencontre.

Il y a des acteurs qu’on associe tellement à un registre qu’on s’étonne de les voir emprunter une autre direction… C’est le cas de Martin Drainville. De La Florida à Broue, en passant par LOL, Caméra café, Samedi PM et les inévitables théâtres d’été, le comédien est associé aux personnages comiques, enfantins, voire naïfs. Or, le principal intéressé n’y est pour rien… ou presque.

« En 30 ans de métier, j’ai joué beaucoup des hommes-enfants, des personnages inoffensifs, des bons gars », dit l’interprète qui a attrapé le virus du jeu dans les ligues d’improvisation. « Bien sûr, j’ai des aptitudes et une attirance pour la comédie. Toutefois, ce sont les circonstances, le goût du public et la vision des décideurs qui décident souvent de l’orientation d’une carrière et te voient rejouer le même rôle. On t’associe à tel registre parce que ton nom et ton visage sont liés à un rôle marquant, un succès populaire ». À l’instar de Tintin, le journaliste maladroit de Scoop, ou du pauvre Louis Jobin du film Louis 19.

Toutefois, Martin Drainville est un acteur doué, polyvalent, qui peut faire autre chose que des personnages bons et naïfs. Comme Bazou dans Fragile, offert sur l’Extra d’ICI Tou.tv. Un « vrai cadeau », dit-il. 

PHOTO FOURNIE PAR ICI RADIO-CANADA

Martin Drainville dans Fragile

« C’est rare, un projet télé où tout le monde est à sa place, où tout fonctionne sans heurts, comme si les astres étaient alignés pour illuminer l’œuvre », explique Drainville, encore reconnaissant d’avoir collaboré avec le réalisateur Claude Desrosiers et la « belle gang » d’interprètes, dont Pier-Luc Funk et Marc-André Grondin.

Bien jouer son triangle

En entrevue au micro de René Homier-Roy, sur ICI Première, Serge Boucher a confié qu’en écrivant Fragile, le seul interprète qu’il avait en tête pour incarner le mystérieux Patrick, dit Bazou, c’était Drainville. « Généralement, je laisse les portes ouvertes, mais là, j’ai tout de suite pensé à Martin. Car c’est un grand acteur avec une profondeur et une palette immense ! », estime l’auteur des séries Aveux, Feux et Apparences.

Dans la vie des gens, les épreuves qu’on traverse nous servent parfois à rebondir. C’est d’autant plus vrai pour un acteur. 

J’ai vécu des périodes plus sombres dans ma vie. Des moments de brisures. Or, cela me permet de comprendre la part d’ombre que porte mon personnage dans Fragile. Je me sens légitime d’aller puiser dans ma vie.

Martin Drainville

Selon Drainville, au lieu de vouloir épater la galerie, un acteur doit toujours chercher la vérité. « Avec le temps et l’expérience, un acteur joue moins, dit-il. Jouer, c’est bien connaître une partition et être au service de l’histoire. Par exemple, dans un orchestre, si tu joues du triangle et que tu veux avoir l’attention du pianiste-soliste, ton triangle va être bruyant et nuire à toute l’œuvre. »

Instinct de survie

Dans Fragile, il y a une scène très troublante. Seul dans sa chambre, assis sur le lit, Bazou se frappe durement à la tête, durant d’interminables secondes. Martin Drainville confesse que cette scène a été difficile à jouer, « parce que les coups font mal ». Mais il ajoute du même souffle que c’était facile de comprendre la sourde violence du personnage. 

« J’ai connu ça… [Il réfléchit.] J’ai connu une personne qui se punissait en se frappant fort comme Bazou. Cette personne souffrait. Elle éprouvait une profonde haine d’elle-même. Sans aller jusqu’au suicide, elle se sentait dans une impasse. Or, chaque jour, elle luttait pour s’en sortir. 

« C’est ce qui me touche de l’espèce humaine : la survie, poursuit-il. On est des survivants, les humains. Pour le meilleur et pour le pire, on est prêt à tout faire pour ne pas mourir. Quand un être plonge dans les ténèbres, instinctivement, il essaie de poser des actions pour remonter vers la lumière. »

Fuir le vedettariat 

Heureusement, Martin Drainville a un côté très cartésien qui lui permet de bien analyser les épreuves et ne jamais rester dans le côté « dark ». D’ailleurs, dans son quotidien, l’homme se méfie des humeurs extrêmes et ne montre pas facilement ses émotions. L’âge et les expériences lui ont donné une « épaisseur » qui lui sert dans son métier.

Car pour Drainville, jouer reste d’abord et avant tout un travail. Un travail qu’il adore, mais qu’il ne met pas au-dessus de tout. 

Dans la vie, je m’identifie davantage comme parent que comédien.

Martin Drainville

« Je suis discret et privé avec le public, en général. Je ne cherche pas les projecteurs, ni l’amour à tout prix. Lorsque j’entends des acteurs dire qu’ils font ce métier par “besoin d’amour”, ça me tombe ben gros sur les nerfs… Certes, c’est agréable, la reconnaissance, mais ce n’est pas la raison dominante pour choisir de faire ce métier. »

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Patrice Dubois et Martin Drainville dans la pièce Les Hardings, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, en 2018

Les Hardings : la catastrophe annoncée

Dialogue entre trois hommes qui ne se connaissent pas, tout en partageant le même destin, Les Hardings met en vedette un formidable trio d’acteurs : Martin Drainville, Patrice Dubois et Bruno Marcil. Créée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, en 2018, la pièce de et mise en scène par Alexia Bürger revient à l’affiche chez Duceppe.

La pièce pose, sans jugement moral, la question de la responsabilité en marge du drame de Lac-Mégantic. Avec l’idée que, dans chaque catastrophe humaine, il y a eu une chaîne de failles qui mènent à la tragédie. Les trois personnages s’appellent tous Thomas Harding. L’un est le cheminot québécois de la tragédie ferroviaire ; l’autre, un assureur américain spécialisé dans les sociétés pétrolières (Drainville) ; et le dernier est un auteur et chercheur néo-zélandais. 

Les Hardings, d’Alexia Bürger, chez Duceppe, du 15 janvier au 15 février