Le Conseil des arts de Montréal et Espace Go ont annoncé mardi la création d’un tout nouveau prix, le prix Jovette-Marchessault, un important pas vers la reconnaissance et la promotion du travail des femmes en théâtre. Ce nouveau prix fait d’ailleurs partie d’une série de neuf recommandations « radicales » et « politiques » pour en finir avec l’iniquité et atteindre enfin la parité dans le milieu théâtral québécois.

Tout le milieu était joyeusement réuni à Espace Go pour ces annonces, fruit du vaste Chantier féministe qui s’est déroulé le printemps dernier au théâtre du boulevard Saint-Laurent. Le Chantier portait, rappelons-le, sur la place des femmes en théâtre (« largement sous-représentées »), les causes (insidieuses et systémiques) des iniquités (ledit « rideau » de verre), et surtout les pistes (concrètes et politiques) à explorer pour atteindre la parité.

Mais d’abord, le prix : chaque année, trois femmes de théâtre se verront désormais honorées, et une bourse de 20 000 $ sera en outre décernée à la lauréate. En collaboration avec Imago Théâtre, le Théâtre de l’Affamée et le mouvement des Femmes pour l’Équité en Théâtre (FET), on vise ici à faire rayonner la contribution des femmes, qu’elles soient metteures en scène, conceptrices ou autrices. Chaque année, les mises en candidature se feront en rotation, selon ces trois fonctions artistiques. Ainsi, pour le tout premier prix, on s’adresse d’abord aux metteures en scène. Avis aux intéressées : les candidatures sont attendues dès le 21 novembre.

Par ce prix, le Conseil des arts de Montréal espère faire « progresser le milieu » vers une « culture plus ouverte, dynamique et inclusive », a déclaré Nathalie Maillé, directrice générale du Conseil des arts de Montréal. Fait à noter, sur huit prix du genre au Québec, un seul avait jusqu’ici le nom d’une femme (Denise-Pelletier). « Et c’est celui pour lequel il y a le plus haut taux de femmes lauréates, 38 % », a signalé le comité de direction du Chantier féministe, lors de la présentation de ses recommandations.

Neuf actions pour la parité

Les recommandations, maintenant, pour faire sortir les femmes de l’ombre en théâtre. Elles sont nombreuses, concrètes, précises et ambitieuses. « Radicales », de l’avis même du comité de direction du Chantier féministe — composé notamment de Ginette Noiseux (directrice artistique et générale d’Espace Go) et de Marie-Ève Milot (codirectrice artistique du Théâtre de l’Affamée) —, touchant tant le symbolique que le concret, le financement que la formation, la recherche que le politique.

Parce que pour parvenir à la parité, la réponse est politique.

Le comité de direction du Chantier féministe

On réclame, entre autres, aux différentes instances gouvernementales, subventionnaires et aux directions artistiques des compagnies la création d’outils statistiques sur le genre et la parité (pour continuer de documenter l’état des lieux), la redistribution du financement public (et l’application de quotas paritaires, « parce que le nerf de la guerre, c’est les statistiques, mais le nerf de la paix, c’est le financement », a glissé Ginette Noiseux), des comités féministes au sein des différents conseils des arts, des quotas en enseignement (tant pour le corps enseignant que pour les œuvres à l’étude), la création de nouveaux prix ainsi que la révision des prix existants (avec une alternance, pourquoi pas, selon les genres).

Aux sceptiques et autres critiques en matière de quotas, Ginette Noiseux a lancé : « On ne veut pas que les femmes soient financées parce qu’elles sont des femmes. Mais parce qu’elles sont des femmes, on ne veut pas qu’elles soient moins financées… »

Objectif : faire progresser les femmes, qui ne sont à l’origine que de 37 % des textes et de 33 % des mises en scène des dernières saisons théâtrales (2017-2019, d’après les chiffres compilés par le Chantier), alors que, paradoxalement, elles excellent dans les écoles de théâtre.

Réactions

Geoffrey Gaquère, coprésident du Conseil québécois du théâtre, s’est dit « totalement solidaire ». « Pour nous, c’est un dossier évidemment et totalement prioritaire, et nous sommes en accord avec les grandes lignes des propositions faites. »

Même intérêt du côté du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), où l’on affirme que ces recommandations arrivent « à point nommé ». Comme de fait, les organismes subventionnés par le CALQ doivent être réévalués d’ici 2021. « Il faudra prendre le temps de voir ce qu’il est possible de faire lors de la prochaine évaluation », a confié Anne-Marie Jean, PDG du CALQ. D’ici là, le Conseil n’est pas du tout fermé à l’idée d’inclure un comité féministe dans son organisation. « On fonctionne déjà beaucoup par comités-conseils, dit-elle, et cela pourrait très bien être mis en œuvre assez rapidement. »

À Québec, enfin, le bureau de la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, dit vouloir prendre le temps d’étudier les recommandations du rapport avant de se prononcer. « Cela dit, nous sommes sensibles aux enjeux de représentativité et comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, l’atteinte de la parité dans tous les secteurs est souhaitable, la sphère culturelle ne fait pas exception », a commenté par courriel l’attachée de presse Brigitte Roussy.