Une nouvelle administration s’est installée à la taverne Chez Willy, mais la bière — et surtout les rires — continue de couler avec un débit élevé. On en a eu la preuve hier au Théâtre du Vieux-Terrebonne, où était présentée la première officielle de Broue, dans sa nouvelle mouture imaginée par Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin.

Le spectacle s’est déroulé devant un parterre d’amis et d’invités, parmi lesquels se trouvaient ceux qui ont porté Broue sur leurs épaules pendant 39 ans, soit Michel Côté, Marcel Gauthier et Marc Messier (alias les 3M). Deux des coauteurs, Louis Saia et Jean-Pierre Plante, étaient aussi présents.

Avant le lever du rideau, il planait déjà dans l’assistance un mélange de fébrilité et de curiosité. Est-ce que Pointu, Verrue, Bob, Travolta et les autres allaient être aussi drôles, aussi attachants, parfois aussi désespérants, maintenant qu’ils étaient incarnés par de nouveaux interprètes ? Est-ce que leurs costumes allaient être trop grands ? Ou trop serrés ?

Même les trois pères fondateurs de Broue n’en savaient rien. « Je suis curieux de voir ce qu’ils ont fait avec ce qu’on leur a prêté », a lancé Marcel Gauthier, rencontré sur le tapis rouge. « On s’attend à quelques changements, mais on s’est complètement retirés du projet pour ne pas être impliqués émotivement. On leur a donné carte blanche », a ajouté Michel Côté.

Similaire, mais différent

Sitôt le rideau levé, on a compris que Brière, Drainville et Guérin en avait décidé non pas de reproduire fidèlement le spectacle de leurs prédécesseurs, mais plutôt de lui « redonner un coup de peinture, de le renouveler sans le dénaturer », pour citer Martin Drainville, avec qui nous avons discuté il y a quelques jours.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

La disposition du décor a été repensée. Le bar occupe désormais le centre de la scène, ce qui entraîne des changements dans la mise en scène élaborée par le nouveau trio de comédiens.

Premier constat : la disposition du décor a été repensée. Le bar occupe désormais le centre de la scène, ce qui entraîne des changements dans la mise en scène élaborée par le nouveau trio de comédiens. La taverne a étrangement l’air plus moderne que celle d’autrefois, mais ce n’est qu’illusion. Le spectacle est toujours campé en 1979 et n’a pas été actualisé. À preuve : les vieux jingles de publicités de bière qui ouvrent le spectacle pendant que le décor se dévoile doucement.

Le plus grand changement demeure toutefois l’attribution des partitions : les rôles tenus à l’origine par l’un ou l’autre des 3M ont été répartis autrement parmi la nouvelle distribution. Une question de casting, d’abord, selon Martin Drainville. Un moyen d’associer le mieux possible personnage et interprète, mais aussi d’écouter les envies de chacun. « C’était de plus une façon de brasser les dés, de créer un dépaysement » auprès des nombreux spectateurs qui ont déjà vu le spectacle.

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« On s’est approprié le texte, avec l’assentiment des créateurs, mais sans savoir ce qu’ils allaient en penser », a indiqué Martin Drainville (à droite).

Le hic, c’est que la partition originale était réglée au quart de tour, avec un intense va-et-vient dans les coulisses. Broue, il ne faut pas l’oublier, regroupe pas moins de 21 personnages différents… « Pour y arriver, nous avons changé l’ordre de certaines scènes, dit Martin Drainville. Les changements de costumes sont aussi un peu plus rapides, un peu plus sportifs. »

On s’est approprié le texte, avec l’assentiment des créateurs, mais sans savoir ce qu’ils allaient en penser… On sait qu’on s’attaque à un objet de fierté nationale !

Martin Drainville

La fierté a été sauve hier, même si le nouveau trio n’arrivera sans doute pas de sitôt à faire oublier les interprètes de génie que sont Michel Côté, Marc Messier et Marcel Gauthier. Ce n’était sans doute pas la prétention de Martin Drainville (qui campe un Pointu très efficace), Luc Guérin et Benoît Brière (le plus physique du trio, avec une imitation récurrente d’ivrogne tout en titubements…).

Ces trois-là ont repris le flambeau avec aplomb en plus d’ajouter leur couleur et leur rythme ; le texte a d’ailleurs été resserré et une scène entière (celle du vendeur de chaussures) est tombée dans l’exercice.

Surtout, ils ont apporté sur scène une complicité tissée au fil des productions (Broue est leur septième) et ô combien nécessaire pour reprendre ce grand spectacle comique. On peut imaginer que cette nouvelle aventure ajoutera encore au plaisir palpable que ces trois-là ont à jouer côte à côte.

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Le spectacle est toujours campé en 1979 et n’a pas été actualisé.

Et qu’en ont pensé les créateurs de Broue ? « C’est une façon différente, très efficace, de présenter le spectacle, a lancé Marc Messier. Nous, nous étions davantage dans le réalisme. Pour nous, ces personnages en arrachaient. Il y avait un fond de tristesse. On riait pour ne pas pleurer. »

« C’est évident que je n’étais pas un spectateur comme les autres, a dit Michel Côté. Je me sentais comme un chirurgien qui en regarde un autre manier le scalpel. Ils ont gardé certains de nos gags physiques et je me suis senti honoré. Ils ont ajouté beaucoup de jeu physique et sont davantage dans la caricature. Plus le spectacle va avancer, plus le show va trouver son rythme. Il faut qu’ils continuent de se l’approprier. »