Ariane Mnouchkine monte Belles-soeurs au Brésil. Renommé As Comadres, le spectacle fait écho à la révolte des femmes de Michel Tremblay, mais aussi à la sourde résistance des laissés-pour-compte du régime d'extrême droite du président Jair Bolsonaro.

À l'instar du numéro final de Demain matin, Montréal m'attend, le Brésil brille pour Michel Tremblay ces jours-ci. Car Belles-soeurs, le spectacle musical de Daniel Bélanger et René Richard Cyr, adapté de la pièce « qui a tout changé » dans le théâtre québécois, y est présenté sous la supervision de nulle autre qu'Ariane Mnouchkine.

C'est la première fois en un demi-siècle que la grande dame du théâtre français accepte de travailler en dehors de sa compagnie, le célèbre Théâtre du Soleil.

« Avec tout ce qui se passe au niveau politique au Brésil - la situation des artistes, des femmes et des minorités est terrible -, As Comadres [les marraines, en portugais] est un appel à la résistance », explique Mme Mnouchkine, jointe par La Presse hier à Rio de Janeiro.

La réalisatrice de Molière fait entre autres référence aux prises de position du nouveau président Jair Bolsonaro, élu en janvier dernier, notamment à l'égard des femmes, des homosexuels et des peuples indigènes.

« Le public brésilien pleure en écoutant la pièce Maudit cul », donne en exemple Mme Mnouchkine. Cette complainte de Rose Ouimet fait écho au sort des femmes dans un pays où le machisme a le vent en poupe. 

Au Brésil et ailleurs dans le monde, on rediscute de choses qu'on croyait réglées depuis longtemps, déplore Mme Mnouchkine. « On a l'impression que les droits régressent un peu », dit la créatrice qui a eu 80 ans le 3 mars.

La version brésilienne de Belles-soeurs est née il y a un an du désir de l'actrice Juliana Carneiro da Cunha, qui fait partie du Théâtre du Soleil depuis 30 ans, de (re)venir jouer dans son pays natal.

La femme de théâtre se souvient de la première mouture de Cyr, en 2012, au Théâtre du Rond-Point à Paris. « J'avais trouvé l'oeuvre et la production formidables. Je suis allée féliciter le metteur en scène et ses comédiennes dans les loges après le spectacle, sans me douter que je le reprendrais un jour. Six ans plus tard, j'ai repensé à Belles-soeurs lorsque Juliana cherchait une pièce pour venir au Brésil. »

PHOTO LINA SUMIZONO, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La version brésilienne de Belles-soeurs (As Comadres)

Une oeuvre qui «n'a pas pris une ride»

Après avoir obtenu les droits des créateurs québécois, la directrice du Théâtre du Soleil a commencé les répétitions en mars 2018, en reproduisant une mini-Cartoucherie à Rio, avec des moyens financiers modestes. Le texte et les chansons sont traduits en portugais populaire. Mme Mnouchkine a repris « presque à la virgule près » la mise en scène de René Richard Cyr. « Sa mise en scène est parfaite. Je ne vois pas ce que je pourrais changer », dit-elle.

« On a créé le spectacle au Festival de Curitiba, il y a deux semaines. Et on a fait un vrai triomphe », indique Mme Mnouchkine.

Mme Mnouchkine estime que l'oeuvre de Michel Tremblay, écrite en 1965, « n'a pas pris une ride ». « Pour les actrices et moi, c'est comme si on jouait une création contemporaine. »

Avant même que le spectacle prenne l'affiche jeudi soir à Rio, et ce, pour un mois, Ariane Mnouchkine a reçu des invitations de deux festivals en Amérique du Sud. « Il y a des directeurs intéressés par le spectacle à Porto Alegre et à Santiago, au Chili. On espère pouvoir aussi le présenter au Portugal », dit-elle.

Kanata au Canada?

Celle qui, comme les Grecs, croit que le théâtre est une catharsis à la douleur et à la violence de notre monde a vécu une vive controverse, l'an dernier, avec la création de Kanata de Robert Lepage. Après la dernière représentation à La Cartoucherie, le 31 mars dernier, le spectacle partira en tournée en juin, à Naples, puis à Athènes, en juillet. Or, aucune date n'est prévue au Canada.

Peut-on espérer voir un jour ce spectacle sur l'histoire des autochtones qui a fait tant jaser dans un théâtre au Canada ? « Ça ne dépend pas de moi, répond Ariane Mnouchkine. Il faut voir avec Robert [Lepage] et sa compagnie. Or, si je me fie aux spectateurs qui ont vu le spectacle à Paris - et je n'ai jamais vu autant de Québécois à La Cartoucherie -, je crois que le désir ne manque pas. »

PHOTO LINA SUMIZONO, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La version brésilienne de Belles-soeurs (As Comadres).