Il y a 10 ans, les Françaises lançaient un mouvement: HF, pour l’égalité hommes-femmes, dans le monde des arts et de la culture. Des militantes de la première heure sont de passage à Montréal ces jours-ci pour participer à un chantier féministe sur l’équité en théâtre, qui se déroule toute la semaine à Espace Go. Nous les avons rencontrées pour faire le point sur leur mouvement, ses actions et, surtout, ses leçons. Bilan.

La «bombe»

Le mouvement HF (sorte de marraine du mouvement québécois des Femmes pour l’équité en théâtre, F.E.T.) est né de manière quasi spontanée en France, à la suite de la publication de deux rapports ministériels sur l’équité en culture, en 2006 et en 2009. Ceux-ci ont eu l’effet d’une véritable «bombe», révélant des inégalités d’une ampleur jusqu’ici insoupçonnée. 

Entre autres : si les femmes sont là-bas majoritaires dans les écoles supérieures d’enseignement artistique, majoritaires à recevoir un diplôme (60 %), elles ne sont qu’une poignée à être ensuite programmées dans des théâtres (20 %), à recevoir des subventions pour leurs créations (20 %) ou à diriger des structures (20 %). D’où la grande question, que se posent pareillement les Québécoises : où sont les femmes?

«Ces rapports ont eu l’effet d’une bombe», se souvient Blandine Pélissier, cofondatrice du mouvement, les médias ayant à l’époque qualifié les chiffres de «catastrophiques», rappelle-t-elle.

Des chiffres évocateurs

L’Observatoire français de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication a compilé entre 2011 et 2014 différentes données très évocatrices. En voici quelques-unes.

- 22 % de metteuses en scène (dans les théâtres subventionnés)

- 6 % de cheffes d’orchestre (dans les théâtres lyriques)

- 30 % d’autrices (dans les principaux festivals)

- 22 % de réalisatrices (dans les films subventionnés en 2012)

- 20 % Écart salarial hommes-femmes dans les entreprises culturelles

- 40 % des subventions dans le domaine de la création artistique vont à des femmes

La mobilisation

C’est donc pour dénoncer ces «dégâts du patriarcat» qu’est né le mouvement, composé aujourd’hui d’une dizaine d’associations à travers l’Hexagone. Ses missions: le repérage des inégalités dans les arts et la culture (et la publication de statistiques sexuées), l’éveil des consciences (par la formation et la sensibilisation) et l’orientation des politiques (par différentes actions, du lobbying, etc.). Elles se font de plus en plus entendre, et se rassemblent deux fois par an pour mettre en commun leurs réalisations. Et de l’avis de toutes, ce réseau est essentiel. «Sans ce réseau, on ne tient pas, souligne Anne Morel Van Hyfte, cofondatrice du mouvement interrégional HF. L’entre-soi féminin est à créer, parce que l’entre-soi masculin est partout. […] L’espace public, le pouvoir, cela appartient aux hommes.»

Les journées du matrimoine

Entre autres réalisations, soulignons surtout le lancement en 2015 des journées dites du matrimoine, avec des visites guidées dans les villes et musées, pour sensibiliser le public au déficit en matière d’œuvres de femmes dans le patrimoine officiel. 

«À 95 %, le patrimoine est composé d’œuvres d’hommes. Pourquoi ? Parce que l’histoire a été écrite au masculin», indique Aurore Évain, militante et chercheuse en histoire des femmes en théâtre.

Avec cette nouvelle journée, célébrée à la mi-septembre, en même temps que les Journées européennes du patrimoine, on souhaite démontrer que cette histoire au féminin existe pourtant bel et bien. La preuve: «Oui, il y avait Molière, Corneille, Racine, mais leurs sœurs ont existé. Et elles étaient jouées à la Comédie-Française au XVIIsiècle!» Mieux: plus de femmes étaient jouées sur les planches de cette prestigieuse institution de l'Ancien Régime qu’aujourd’hui! 

Le mot «matrimoine» a d’ailleurs toujours existé, précise celle à qui l’on doit une recherche inédite sur le mot «autrice». Historiquement, «patrimoine» faisait référence aux biens transmis par le père et «matrimoine», aux biens transmis par la mère. «Au fur et à mesure, le patrimoine devient le bien culturel de la patrie, explique-t-elle, et le matrimoine est relié au mariage, à la sphère privée…»

Les leçons

Résultat? C’est ici que le bât blesse. Dix ans de mobilisation plus tard, les chiffres n’ont presque pas bougé. À peine quelques pourcentages de plus de femmes à des postes de direction de théâtre. «Plus 4 %, dénonce Anne Morel Van Hyfte. Mais tout ce qui n’avance pas recule. […] Si on n’avait rien fait, ce serait bien pire, peut-être…» 

L’ampleur du mouvement #metoo montre que quelque part, ne serait-ce que dans l’« intime », glisse Aurore Évain, les choses bougent. Elles tirent aussi plusieurs leçons de leurs actions: l’importance de se retrouver entre militantes, de se concentrer sur ce qui fonctionne, d’expérimenter. Sans lâcher. «Parce que le but ultime du mouvement HF, c’est de disparaître…», conclut Blandine Pélissier.

Consultez le site du mouvement HF.

Consultez le site d'Espace Go.