Le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, invite les acteurs de l’industrie audiovisuelle, en particulier les diffuseurs ayant multiplié les acquisitions de parts minoritaires dans des maisons de production privées, à la « prudence ».

« Les règles pourraient changer au cours des prochaines années et l’écosystème pourrait être bien différent de ce qu’il est en ce moment », a-t-il averti. C’est que le ministre Lacombe a l’intention d’annoncer dans les prochaines semaines la mise sur pied d’un comité d’experts qui aura pour mandat de revoir complètement le modèle de financement de la production audiovisuelle.

« Je le dis déjà depuis un moment : le système actuel ne fonctionne plus. La façon dont on finance nos productions, l’écosystème global avec lequel on finance nos productions, ne fonctionne plus. Donc dans les prochaines semaines, le chantier que je vais annoncer sur la mise à jour de ce modèle va nous permettre de nous poser ces questions-là. Je vais mandater des gens qui vont parcourir le Québec, regarder ce qui se fait ailleurs dans le monde et nous proposer le meilleur modèle pour passer à travers la transformation numérique qu’on connaît. »

Le ministre Lacombe ne veut pas jeter la pierre aux diffuseurs qui cherchent à « s’adapter tant bien que mal à cet environnement », dit-il.

Loin de moi l’idée de blâmer les diffuseurs, en disant qu’ils essaient de profiter, d’une façon détournée, du crédit d’impôt, je pense qu’ils font ce qu’ils peuvent faire dans les circonstances pour s’adapter le mieux possible.

Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications

Il se porte toutefois clairement à la défense de la production privée. « On doit travailler à protéger l’indépendance de la production au Québec », affirme-t-il.

« Si on se retrouve avec des diffuseurs qui passent exclusivement des commandes à des maisons de production qu’ils ont achetées en partie, c’est sûr qu’à la fin, on se retrouve avec moins d’offres ou, à tout le moins, avec moins de possibilités de tomber sur de grands succès ou des séries qui vont marquer le Québec par leur originalité ou leur caractère novateur, ça, c’est certain. »

« Pas dans trois ans »

Louis Morissette, président de la boîte de production KOTV, croit qu’il faut agir « maintenant », et non au terme d’un « chantier de deux ou trois ans ».

« Ou bien tu élimines les crédits d’impôt [de la Société de développement des entreprises culturelles, la SODEC] des compagnies qui ont comme partenaire un diffuseur, dans la mesure où elles produisent chez ce diffuseur-là, ou bien tu fais deux paliers de crédit d’impôt. Si tu es un producteur réellement indépendant, tu as tel crédit d’impôt ; si tu es associé à un diffuseur, tu as, disons, la moitié. »

Dans le premier cas, la boîte Pixcom, par exemple, serait privée de l’aide provinciale lorsque ses projets atterrissent à TVA, mais pourrait toucher ces sommes pour ses émissions diffusées à Radio-Canada ou à Noovo.

Des producteurs indépendants avec qui La Presse a discuté proposent une troisième voie. Les crédits d’impôt pour une production audiovisuelle seraient proportionnels aux parts d’actions qui ne sont pas détenues par un diffuseur. Une maison possédée par Québecor à hauteur de 49 % pourrait ainsi obtenir 51 % des sommes admissibles.

Une indépendance essentielle

En entrevue avec La Presse en novembre dernier, la présidente-directrice générale de la SODEC, l’organisme gouvernemental qui gère les crédits d’impôt, a dit croire en l’indépendance des maisons de production par rapport à leurs diffuseurs partenaires.

Le producteur indépendant doit rester roi et maître de ce qu’il développe et produit. Dans les conversations que nous avons avec les producteurs, ils nous assurent que c’est le cas.

Louise Lantagne, présidente-directrice générale de la SODEC

Des producteurs indépendants croient en outre que le Fonds des médias du Canada, qui finance la production de contenus, devrait être plus attentif aux stratégies de convergence qui se déploient dans le milieu audiovisuel. Les règles de l’organisme – auquel contribuent le gouvernement fédéral et les distributeurs de services de télévision – gagneraient à être resserrées, croient-ils.

Tous nos interlocuteurs s’entendent : ce n’est pas l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), dont ils font partie, qui va porter ce délicat dossier auprès des instances publiques.

Les maisons de production codétenues par Québecor ou Bell font partie du regroupement. Elles contribuent largement à son financement – à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de dollars – puisqu’elles sont aux commandes d’importants projets ; des cotisations complémentaires sont directement liées aux budgets de production.

L’AQPM n’était pas disponible pour répondre à nos questions.

Avec la collaboration de Tristan Péloquin, La Presse