Alors que le nombre de demandes de subvention adressées aux conseils des arts provincial et fédéral augmente radicalement, le budget du Conseil des arts du Canada ne tient pas la cadence. Résultat : dans le milieu de la musique, un nombre record d’artistes essuient des refus et se retrouvent sans financement.

D’un taux de plus de 71 % d’acceptation pour ses demandes de subvention soumises au Conseil des arts du Canada en 2021, puis de 31 % en 2022, Maxime Jarry, fondateur et président de l’agence de gérance et de production de spectacles Bleu Carpette, a constaté une chute du pourcentage d’acceptation à 5,5 % en 2023. Ce sont 17 refus sur 18 demandes cette année-là. Du jamais vu pour lui, dont la maison offre de l’aide à l’externe aux artistes (dont Clay and Friends, Tire le coyote, Stéphanie Boulay et Flore Laurentienne) pour leurs soumissions.

Que se passe-t-il donc pour que tant d’artistes voient leurs demandes de financement rejetées ?

« C’est un symptôme de ce qui se passe dans l’industrie : plusieurs artistes ne parviennent plus à faire leurs projets sans être soutenus par des subventions, parce qu’il est plus difficile de monétiser et de se rembourser en étant indépendant ; donc, il y a une quantité inédite de personnes qui font des demandes », relate Sandrine Quirion, consultante en financement culturel.

Or, les sommes attribuées chaque année par le Conseil des arts du Canada (CAC) ne suivent pas cette tendance.

La base du problème est là. Les mathématiques ne marchent pas. C’est un étau qui se resserre.

Maxime Jarry, fondateur et président de l’agence de gérance et de production de spectacles Bleu Carpette

Au Conseil des arts du Canada, le programme Explorer et créer (le programme le plus vaste de l’organisme fédéral) soutient la recherche, la création, le développement et la production de projets artistiques. Pour la dernière année financière, l’organisme dit avoir observé un « faible taux de succès » de 16,6 % pour les demandes dans le pays.

Comment explique-t-on ce phénomène du côté du CAC ? Cela est lié « à un volume de demandes sans précédent et à un retour au budget régulier du Conseil, après la fin du financement gouvernemental ponctuel pour la pandémie, qui a été accordé au Conseil entre 2020-2021 et 2022-2023 », indique-t-on à La Presse par courriel.

De fait, entre 2017 et 2023, le nombre de demandes soumises au programme Explorer et créer a triplé. Pour ce seul programme, les demandes pour 2023-2024 équivalaient à près de 215 millions de dollars, soit plus des deux tiers du budget annuel total de subventions du Conseil, qui compte cinq autres programmes.

« Ce concours a été très compétitif, reconnaît le CAC, mais nous avons quand même pu distribuer 36,2 millions de dollars pour soutenir 1125 projets à travers le Canada. »

Le programme Explorer et créer (du CAC) en 2023-2024

6750 demandes admissibles

1125 projets approuvés

Le facteur pandémie

Sandrine Quirion, qui remplit des demandes de subvention pour des artistes depuis 12 ans, observe de très près les changements en cours dans l’industrie. Pour elle, la pandémie a amené un grand bouleversement qui était difficile à prévoir.

PHOTO PHILIPPE RICHELET, FOURNIE PAR SANDRINE QUIRION

Sandrine Quirion, consultante en financement culturel

Durant la pandémie, beaucoup de gens se sont mis à la musique, ont essayé de mettre leur passion de l’avant. Ils se sont donc mis à faire des demandes de subvention. Ça a décuplé le nombre d’artistes sur un marché québécois déjà saturé.

Sandrine Quirion, consultante en financement culturel

Les outils technologiques permettent de mieux en mieux de faire des albums soi-même, décrit-elle. Cela permet à de nombreux artistes de répondre à leurs ambitions. Mais pour mener leurs projets à bien dans le système actuel au Québec, le financement passe majoritairement par les subventions.

« Tout le monde a l’impression de se faire refuser et l’impression que le gouvernement est le gros méchant, mais je parle souvent aux subventionneurs et ils font ce qu’ils peuvent, ajoute Sandrine Quirion. C’est sûr que les programmes ne sont pas encore nécessairement adaptés au marché d’aujourd’hui. L’enveloppe n’est simplement pas suffisante dans un temps post-pandémique où tous les budgets sont revenus à la normale et où l’inflation est quand même quelque chose. »

Une meilleure réponse au Québec

Au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), « en ce qui concerne le budget annuel attribué […] il n’a pas diminué, il a même vu une légère augmentation dans les dernières années », indique-t-on dans un courriel à La Presse.

On constate ainsi, du côté provincial, que le nombre de demandes est en constante croissance. Le CALQ semble un peu mieux répondre à ces transformations du milieu que le CAC, selon les informations obtenues. Des artistes condisèrent cependant que l’effort n’est pas suffisant et demandent une augmentation du budget global de l’organisme de 100 millions pour s’ajuster aux besoins du milieu. Des manifestations ont eu lieu ces dernières semaines, rassemblant tous les secteurs culturels, pour exiger de Québec que l’enveloppe du CALQ soit bonifiée. « Le montant total attribué au CALQ à la suite du dernier budget est de 160,4 millions, nous dit-on au CALQ, par courriel. Cette somme a été bonifiée récemment pour les organismes, comme l’a annoncé mardi [dernier] le ministre [Mathieu] Lacombe. »

En ce qui concerne les demandes au CAC toutefois, la donne n’est plus la même : « Je me dis que si je faisais des copier-coller de dossiers qui sont passés il y a quelques années, ils ne passeraient pas en 2023-2024, observe Maxime Jarry. Des dossiers solides, avec des tournées européennes à venir, une équipe, des labels, de la promo. D’habitude, c’est les doigts dans le nez. »

« Le Conseil reconnaît l’éventail des défis auxquels sont confrontés les artistes et suit de près la lente reprise du secteur artistique », affirme-t-on au CAC. L’organisme gouvernemental dit s’engager à soutenir une « reconstruction durable du secteur artistique en travaillant avec des partenaires fédéraux, des bailleurs de fonds publics dans tout le pays et d’autres acteurs ».

« Je ne suis pas une grande visionnaire, mais il y a des gens qui le sont, qui sont capables de trouver des solutions. Il faut qu’il y ait des changements, exprime Sandrine Quirion. Les subventions ne sont que symptomatiques de tout ce qui se passe dans l’industrie. Le gouvernement travaille au niveau des lois, des choses se passent, mais pas aussi vite que ça devrait. »