La télévision québécoise sert de liant entre Isabelle Gallant et Jade Léveillé, sa fille de 19 ans. Cette année, elles ont regardé plusieurs séries, dont STAT, Indéfendable, Portrait-robot, Les bracelets rouges, Avant le crash, Virage – Double faute et Plan B, et échangé à leur sujet. « La télé, c’est notre point en commun. »

En entrevue, toutes deux parlent avec beaucoup d’enthousiasme (et d’éloquence) des contenus qu’elles regardent, des intrigues qu’elles dissèquent et, surtout, de l’influence qu’elles ont l’une sur l’autre en matière de choix d’émissions.

Ce partage a commencé lorsque Jade a décidé, l’espace d’un congé estival en sixième année, de regarder La galère, une série dont Isabelle avait souvent parlé. Est ensuite arrivé l’incontournable District 31, que la cégépienne a commencé seule, jusqu’à ce qu’elle convainque sa mère d’embarquer.

Les deux ont suivi le populaire drame policier de Luc Dionne de manière assidue et investie. Isabelle Gallant se rappelle notamment la mort brutale de Nadine (Magalie Lépine-Blondeau), qui avait semé l’émoi chez les 1 300 000 téléspectateurs en octobre 2017. « J’ai appelé Jade après l’épisode, et elle pleurait. Elle n’avait pas envie d’en parler. Elle était comme : “Laisse-moi vivre mon moment !” »

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Magalie Lépine-Blondeau (Nadine Legrand) dans District 31

Des passeuses

L’exemple d’Isabelle Gallant et de Jade Léveillé illustre un phénomène important en télévision québécoise : la filiation mère-fille. Selon une enquête récente de l’Académie de la transformation numérique (ATN) concernant les pratiques de visionnement connecté des jeunes adultes du Québec, les parents constituent une source majeure de découverte de contenus. En effet, 31 % des répondants de 18 à 24 ans affirment avoir découvert des séries de fiction, des téléréalités ou encore des émissions de variétés québécoises en discutant avec maman et papa. Cette proportion est encore plus marquée du côté des jeunes femmes, avec 40 %, précise le rapport réalisé conjointement avec l’UQAM et l’Association québécoise des productions médiatiques (AQPM).

Sachant combien les jeunes adultes délaissent la télévision québécoise au profit d’émissions américaines, le rôle des parents apparaît encore plus crucial pour assurer sa pérennité. « C’est une responsabilité importante à cause du manque d’accès des jeunes aux contenus québécois », signale Christine Thoër, professeure titulaire au département de communication sociale et publique de l’UQAM.

D’après Christine Thoër, qui dirige l’équipe de recherche derrière l’enquête de l’ATN, les jeunes de 18 à 24 ans « ne voient pas passer » les contenus télévisuels québécois sur YouTube, TikTok, Instagram, Snapchat et toutes les autres plateformes ou applications qu’ils utilisent régulièrement.

Les mères jouent un rôle particulièrement important parce qu’elles connaissent notre télévision, elles l’écoutent beaucoup. Avec des séries comme STAT, Indéfendable, Chouchou et Sans rendez-vous, qui plaisent tant aux mères qu’aux filles, elles deviennent comme des passeuses d’une culture télévisuelle.

Christine Thoër, professeure titulaire au département de communication sociale et publique de l’UQAM

Christine Thoër mentionne également les nombreux témoignages de jeunes femmes recueillis pour l’étude, dans lesquels elles décrivaient des moments privilégiés qu’elles avaient passés avec leurs mères devant l’écran.

« C’était parfois émouvant, commente la professeure. Les répondantes racontaient comment, ensemble, elles parlent des séries qu’elles regardent. J’ai entendu de beaux témoignages sur Fugueuse, des discussions sur l’exploitation sexuelle qu’elles ont eues après l’avoir vue. D’autres s’étaient parlé de violence conjugale après M’entends-tu ? »

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Ludivine Reding (Fanny) dans Fugueuse

L’importance des séries jeunesse

Pour maximiser les chances qu’un adulte de 18 à 24 ans s’intéresse aux émissions québécoises, il doit avoir grandi en étant exposé aux émissions jeunesse locales, et pas seulement celles en provenance des États-Unis, qu’on trouve sur Netflix et autres Disney+. Christine Thoër qualifie ce contact d’« empreinte ».

Pour Jade Léveillé, cette « empreinte » s’est faite avec des séries comme Tactik (Télé-Québec), Une grenade avec ça ? (Vrak) et L’appart du 5e (Vrak). « J’ai toujours été attachée à la télé québécoise, aux artisans qui travaillent dessus, déclare-t-elle. On a des gens tellement talentueux ici, pourquoi est-ce que j’irais chercher ailleurs ? »

Par ailleurs, l’influence maternelle a également agi sur Isabelle Gallant en matière de télévision. Plus jeune, elle regardait des téléromans comme Cormoran, Le temps d’une paix et Entre chien et loup parce qu’elle voyait sa mère s’installer devant son téléviseur chaque fois qu’ils jouaient.

« Jade aime moins les séries d’époque, signale la mère de 44 ans. Elle aime les téléréalités. Elle en écoute beaucoup, mais moi, moins. »

N’empêche, Isabelle Gallant s’intéresse aux « petits potins » qu’elle voit passer sur Occupation double et compagnie, précise sa fille.

« Avec nos horaires, la vie qui va vite, et moi au cégep, on se voit moins qu’avant, on se parle moins qu’avant, mais la télé, c’est un sujet sur lequel on revient tout le temps, souligne Jade. Tout ça, c’est parti du fait que plus jeune, je voyais souvent ma mère écouter la télé. Elle suivait les médias québécois, elle connaissait les vedettes, les comédiens... Et quand j’ai accroché à une série, j’ai eu tellement de plaisir que j’ai voulu écouter toutes les autres. Toute mon enfance, j’ai voulu devenir avocate à cause de Toute la vérité ! »