Ne dites pas « OK boomer » en présence de Laurence Jalbert. Elle déteste cette expression qu’on entend partout depuis trois ans, et qu’on utilise pour discréditer, sur fond d’âgisme, l’opinion des personnes nées avant 1968. « Ça me tape sur les nerfs ! », lance la chanteuse.

Avant d’aller plus loin, mettons une chose au clair : La Presse n’a jamais employé la formule « OK boomer » devant Laurence Jalbert. Les deux mots ont seulement été prononcés en guise d’exemple lors d’une table ronde à laquelle l’auteure-compositrice-interprète avait été conviée, avec trois autres participants de Zénith, pour discuter des générations. L’occasion était idéale puisque l’émission, que Véronique Cloutier animera sur ICI Télé à partir du 19 janvier, oppose des artistes de différentes générations, qui doivent proposer des numéros susceptibles d’attirer un public multigénérationnel.

C’est donc avec Laurence Jalbert, représentante des baby-boomers, Benoît McGinnis (génération X), Matt Lang (génération Y) et Maëva Grelet (génération Z) que l’entrevue s’est déroulée, à Montréal, au cinquième étage des nouveaux locaux de Radio-Canada.

« Je n’aime pas ‟OK boomer” parce que c’est devenu une drôle d’étiquette, commente Laurence Jalbert. J’ai la chance d’avoir vécu les années 1970. J’ai commencé à chanter dans les bars à 15 ans. Je chantais Led Zeppelin, AC/DC, Iron Maiden, Judas Priest… »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Laurence Jalbert

J’ai touché à tout. Tous ceux qui grimacent en disant ‟OK boomer”, c’est parce qu’ils n’ont pas vécu ce que j’ai vécu.

Laurence Jalbert

Laurence Jalbert, qui soufflera 64 bougies dans quelques mois, s’identifie aux baby-boomers, un groupe réputé pour valoriser le travail. Elle discerne un clash sur d’autres aspects. « Parce que mon cœur a 12 ans, explique-t-elle en décochant un sourire de gamine. Je suis encore cette petite fille qui s’émeut devant le beau ciel bleu. Ça énerve tellement Dan Bigras ! Mais je suis de même ! Je m’émerveille devant toutes sortes de patentes. J’ai encore envie de tout découvrir, de tout essayer. C’est le corps qui suit un peu moins. »

Benoît McGinnis comprend le sentiment. « J’ai 44 ans, mais dans ma tête, j’en ai 27 », admet celui qui côtoie, aussi bien au théâtre qu’en télévision, des gens de tous les âges. Le comédien a néanmoins connu un clash de générations en 2021, lorsqu’il a commencé à enseigner à l’École nationale de théâtre.

« Les étudiants avaient début vingtaine. Je voyais une différence d’attitude. Ce qui m’a fasciné, c’est leur audace. Ils disaient : ‟Ça, je ne fais pas ça. Je n’ai pas envie de faire ça.” Ça m’a déstabilisé parce que moi, quand j’étais à leur place, j’étais super docile. On faisait tout ce que les profs nous disaient de faire. »

Cette remise en question des personnes en position d’autorité rejoint Maëva Grelet, la benjamine du panel. La chanteuse de 21 ans s’assimile aux Z, mais soutient qu’elle s’entend bien « avec tout le monde ». Celle qu’on a connue en 2021 dans Star Académie n’entretient aucun préjugé défavorable envers ses aînés.

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Maëva Grelet

Dans ma famille, je suis l’accident. Je suis le bébé. Je suis habituée à vivre avec des plus vieux. Je m’entends bien avec eux. C’est ma gang !

Maëva Grelet

Entre #metoo et « wokisme »

Les grands courants sociaux des dernières années semblent avoir creusé certains fossés générationnels. En réaction au mouvement #metoo, par exemple, les plus vieux décrient souvent l’attitude des plus jeunes. Et vice-versa.

Laurence Jalbert appuie fortement ce virage qui donne une voix aux victimes d’inconduites et d’agressions sexuelles. Au printemps 2021, inspirée par l’énergie ambiante, elle s’est même ouverte sur Facebook sur la violence conjugale qu’elle a subie pendant 10 ans.

« Dans ma démarche, la prise de parole des plus jeunes m’a beaucoup aidée. Quand je regardais les sœurs Boulay, Safia [Nolin]… Ça m’a fait : ‟Mon Dieu ! Elles parlent ! Elles nomment les choses. Elles s’affirment.” Ça m’a poussée à raconter ce qui m’était arrivé. Je suis fière d’elles. Je suis fière des plus jeunes. J’ai trois petits-fils et quatre petites-filles. Je veux un avenir meilleur pour elles. Meilleur que ce que j’ai eu, quand c’était normal de cacher ça, tellement la honte était immense. »

L’émergence du « wokisme » a aussi entraîné des frictions entre générations. Étroitement associée aux Z, cette idéologie est dorénavant chargée d’une connotation péjorative (« On ne peut plus rien dire ! ») tant certains groupes l’ont malmenée.

Benoît McGinnis n’y voit aucune menace. « Au début, c’était déstabilisant. J’étais comme : ‟Ah, crisse ! On a toujours dit ça ! Arrêtez de niaiser !” Mais pour éviter de vieillir de façon rigide, je crois qu’il faut avoir l’ouverture d’écouter l’autre. Ce n’est pas parce qu’on dit certaines choses depuis qu’on est petit qu’il faut continuer de même. La vie avance. »

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Benoit McGinnis

J’apprends à côtoyer les plus jeunes par rapport à ce qu’il est bon d’utiliser, actuellement, comme vocabulaire. Souvent, je demande à mes amis : ‟Est-ce qu’on peut dire ça ?” Je n’ai pas envie de froisser les gens. Les plus jeunes sont une référence là-dessus.

Benoît McGinnis

« Je t’aime »

Pour sa part, Matt Lang s’avoue « en retard dans ben des affaires », voire « stucké dans une époque ». Malgré tout, il reste ouvert. Originaire de Maniwaki, le chanteur country, qui sera bientôt père d’un deuxième enfant, estime que « toutes les générations peuvent apprendre de toutes les générations ».

En entrevue, il décrit avec tendresse la manière dont il enseigne à ses grands-parents, particulièrement à son grand-père, à dire « Je t’aime », des mots presque tabous pour d’autres générations.

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Matt Lang

Quand on s’appelle, je lui dis tout le temps : ‟Bon, ben, j’t’aime, grand-pa.” Et souvent, sa réponse, c’est : ‟OK.” Je trouve ça drôle. Je sais qu’il m’aime, mais pour lui, c’est difficile à dire. Il n’est pas habitué.

Matt Lang

Maëva Grelet croit elle aussi qu’elle peut transmettre « quelques trucs » aux générations précédentes.

« Ma maman est africaine. J’ai donc été élevée de manière très stricte. Elle va toujours m’apprendre des choses. Mais récemment, j’ai réalisé que moi aussi, j’étais capable [de lui en apprendre]. Je peux lui apprendre une autre manière de faire. Et je sais qu’au final, tout se mélange et s’accorde. Ça fait un beau smoothie. »