« Le meilleur moyen de ne pas devenir mon chum, prévient Patrick Huard, c’est de commencer une phrase par “les jeunes aujourd’hui…” » Conversation avec un humoriste que vous n’entendrez pas dire… qu’on ne peut plus rien dire.

Patrick Huard sait tout de la séance de fil de fer que représente un Bye bye, et des risques de chute qu’il comporte. Déjà, en 2003, il incarnait Pierre Karl Péladeau en Séraphin Poudrier dans Ceci n’est pas un Bye bye, un sketch qui a valu à son auteur Louis Morissette d’aboutir sur la liste noire du magnat de la presse.

Nerveux, à l’approche de sa première participation à la revue de fin d’année en tant que membre de sa distribution officielle ? Un peu, mais que dans la mesure où « personne ne souhaite faire un mauvais Bye bye », dit-il lors d’un long entretien avec La Presse.

Mais Patrick Huard n’a pas du tout senti au cours des derniers mois que les créateurs du traditionnel rendez-vous du 31 décembre roulaient avec un pied sur le frein. Son code de conduite au sujet de ses personnifications ? « Si je n’ai pas hâte de montrer un sketch à la personne que j’incarne, je ne le fais pas », confie le comédien, en précisant bien sûr que cette règle exclut nos dirigeants, qui, « eux, souvent, le méritent ».

On peut se tromper, on n’est pas infaillibles, mais les gens veulent qu’on prenne des risques. Si on est trop pépères, on va se le faire dire, si on va trop loin, on va se le faire dire. C’est comme en F1 : tu veux que le pilote passe le plus proche possible du mur. Même que parfois, le monde ne déteste pas ça, un petit crash.

Patrick Huard

Il refuse ainsi d’embrasser le discours de ceux qui clament que la marge de manœuvre de ce genre d’émission, et des humoristes en général, s’est rétrécie. « Si tu vas sur les médias sociaux, tu vas croire que l’ensemble de la population pense que ceci ou cela ne se dit pas, mais dans la rue, ce n’est pas ce qui se passe, observe-t-il. La liberté d’expression des humoristes n’a pas changé ; il y a juste des gens qui ont levé la main pour faire valoir qu’il y a une façon de dire les choses qui les blessent, et c’est correct. »

Une sensibilité qui ne signifie pas qu’il croit pour autant que certains sujets devraient être contournés. « Quand tu ne parles pas de quelqu’un ou d’un groupe, en humour, tu l’ostracises, tu penses qu’il est trop fragile. Si tu as de la tendresse pour la personne dont tu te moques, je pense que tout peut passer. »

LOL et les jeunes

Patrick Huard pilote dès le 6 janvier sur Prime Video LOL – Qui rira le dernier, un format japonais décliné dans une douzaine de marchés, reposant sur un concept aussi simple que jubilatoire : pendant six heures, dix comiques d’élite, pris dans une seule vaste pièce, doivent résister à l’envie de pouffer, procurant par le fait même aux téléspectateurs un rare concentré de rires purs (et parfois purement puérils).

Visionnez la bande-annonce de LOL – Qui rira le dernier ?

« Aussitôt qu’on m’a pitché l’idée, je me suis dit : pourquoi je n’y ai pas pensé moi-même avant ? », se souvient l’animateur de ces six épisodes mettant en vedette Marie-Lyne Joncas, Rachid Badouri, Yves P. Pelletier, Arnaud Soly, Christine Morency, Laurent Paquin, Richardson Zéphir, Virginie Fortin, Mathieu Dufour et Édith Cochrane.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Une partie de la distribution de LOL : Mathieu Dufour, Yves P. Pelletier, Arnaud Soly, Richardson Zéphir, Laurent Paquin et Patrick Huard

LOL – Qui rira le dernier ? pourrait-il rameuter ce jeune public que les productions québécoises peinent à séduire, comme on l’a beaucoup écrit cet automne ? « C’est sûr que c’est un sujet qui me préoccupe, lance Huard, mais c’est de notre faute, ce problème-là. Je ne sais pas quoi dire d’autre. » Mais encore ? Notre homme est visiblement découragé.

Si ta seule réponse au fait que les jeunes ne s’intéressent pas assez à la culture québécoise, c’est de dire : Netflix et compagnie sont tellement gros, on ne peut pas compétitionner avec eux, ben fermons nos plateformes. Si les jeunes sont sur Netflix, c’est peut-être parce qu’on parle plus d’eux là que sur nos plateformes.

Patrick Huard

Il évoque le succès d’émissions chouchous des ados comme Le chalet, Complètement lycée ou le gala Mammouth. « C’est la preuve que si on les interpelle, si on les représente, si on leur donne les moyens de raconter leurs histoires, les jeunes vont être là. »

Un cinéma en manque de diversité

Il y a 25 ans, en décembre 1997, le premier volet de la franchise Les Boys prenait l’affiche et surpassait au box-office, contre toute attente, une certaine superproduction américaine de bateau qui coule. La comédie sur patins amorçait une période faste pour le cinéma québécois, tant en matière de qualité que d’affluence en salle.

IMAGE TIRÉE DU FILM LES BOYS (1997), ARCHIVES LA PRESSE

Rémy Girard, Patrick Huard, Patrick Labbé, Marc Messier, Yvan Ponton et Serge Thériault dans Les Boys (1997)

« Je fais partie de la gang qui a bûché pour qu’on arrête de dire que le cinéma québécois, c’est plate, raconte Patrick Huard. À l’époque, le plus beau compliment que tu pouvais recevoir, c’était : c’est bon… pour un film québécois. Mais on a réussi à rendre les gens fiers du cinéma québécois. Et là, maintenant, j’ai l’impression qu’on est retombé dans le même maudit pattern. »

Sans conclure à la désaffection totale, ce que les statistiques contrediraient, le réalisateur se désole d’une offre qu’il juge trop peu diversifiée, à laquelle le débranchement du Gala Québec Cinéma, qu’il regrette, n’est peut-être pas étranger. « On ne fait pas de film de genre, de comédie romantique, de biopic ! Ça m’attriste qu’on échappe le témoin à la grosse machine américaine. C’est simple, et je suis tanné de le répéter : ça prend toutes sortes de films, parce que tout le monde profite des succès de tout le monde. »

Un retour sur scène ?

Côtoyer des humoristes sur le plateau de LOL : Qui rira le dernier a-t-il donné envie à Patrick Huard de renouer avec la scène ? « Je commence à avoir un sujet en tête », laisse tomber celui dont le dernier spectacle remonte à 2012. « J’aimerais m’adresser à mes chums bonhommes. »

PHOTO LUC-SIMON PERREAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Huard au festival Juste pour rire en 1993

Ceux qui emploient le mot woke à toutes les sauces ? « Oui, comme si c’était une race de zombies ! [Il éclate de rire.] Il y a une propagande autour de ce mot-là qui fonctionne. On veut démoniser ça comme on a voulu démoniser le mouvement féministe, à une autre époque. Ce que le mot woke nous invite à faire, c’est juste de rester éveillé à ce qui se passe autour de nous. Je peux comprendre que ça brasse certains de mes chums bonhommes. Oui, il peut y avoir des excès. Mais ne viens pas me dire : tsé, les jeunes, aujourd’hui… »

Ne comptez donc surtout pas sur Patrick Huard pour se plaindre qu’il ne peut plus rien dire. « Ça me fait capoter, les chroniqueurs qui passent des heures sur leurs multiples plateformes à dire ‟je ne peux pas rien dire”. Man, arrête de dire que tu ne peux pas rien dire pis dis quelque chose. »

LOL Qui rira le dernier ?, dès le 6 janvier sur Prime Video