Je suis allée voir Pub Royal début janvier, alors que la première vague de représentations montréalaise achevait, ayant lu et entendu plein de belles choses sur le sujet, mais sans savoir si mon cœur allait vibrer.

C’est un spectacle exceptionnel, une aventure intime et explosive où la nostalgie devient une fête, où le mouvement et les mots sont émotion : j’ai vibré, en masse.

Mais dès le lever du rideau, j’ai cherché les musiciens.

Personne n’avait signalé leur absence, ou plutôt leur présence encapsulée dans une bande sonore.

Je me suis demandé si on commence à mesurer le manque à gagner causé aux musiciens par le recours de plus en plus fréquent aux bandes enregistrées. J’en ai parlé à Luc Fortin, le président de la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec.

Sont-ils bien payés, au moins, pour enregistrer des bandes qui seront diffusées pour des dizaines, voire des centaines de représentations, en leur absence ?

« Difficile à dire, parce que la Guilde n’a pas d’entente collective sur cette pratique. »

Quoi ?!

« En tant que syndicat reconnu par la Loi sur le statut de l’artiste, nous avons des ententes collectives pour tout ce qui concerne la musique sur scène, pour la télévision, pour l’enregistrement d’albums, mais ici, on est dans une zone grise : il n’y a pas encore d’entente existante. On veut justement s’attaquer à ce problème cette année, en contactant les parties impliquées. »

Évidemment, on ose croire que les producteurs derrière le grand succès de Pub Royal n’ont pas été chiches avec les musiciens.

Mais l’absence de balises est troublante pour Luc Fortin : « Ce qui m’agace, c’est que dans bien des cas, des subventions sont accordées à des productions sans s’assurer que les conditions de travail des artistes auront de l’allure. C’est paradoxal : on impose de plus en plus de critères liés à la diversité, et c’est important ! Mais qu’en est-il du filet social ? Quand les musiciens travaillent sans contrat avec la Guilde, le producteur économise de l’argent, mais eux sont privés de leurs avantages sociaux. »

Puis il y a autre chose, que Luc Fortin exprime avec beaucoup de précautions : le risque de perdre aussi sur le plan artistique, si on s’habitue à l’absence des musiciens.

« Je me demande pourquoi un si beau spectacle, en hommage à un groupe culte qui a fait sa marque dans le monde du spectacle vivant au Québec, n’utilise pas de musiciens sur scène ? En fait, j’aimerais bien savoir ce que Jean-François Pauzé, qui a tout mon respect, en pense lui-même. »

La réponse m’est venue par l’entremise de La Tribu, l’agence des Cowboys : « La seule raison pour laquelle c’est une bande-son qui accompagne le spectacle Pub Royal, c’est que ce sont des chansons des Cowboys, jouées par les Cowboys, qui sont allés en studio expressément pour le projet. Il n’y a qu’eux pour interpréter avec cette fièvre leurs chansons. »

Il faut quand même préciser que la bande-son rassemble une douzaine de musiciens (nommés dans le programme) en plus des Cowboys : on entend un travail de studio soigné plus qu’un jam entre amis.

Oui, la fièvre est là, mais… immuable. Le soir où j’ai assisté au spectacle, j’aurais juré que Richard Charest avait envie de chanter Plus rien un poil moins vite. Je le sentais rattraper son tapis roulant habilement, mais manquer d’espace pour se poser.

Puis il y a ces moments… Vous savez, un silence comme en apnée, à la fin d’une phrase, un silence où les baguettes d’un drummer se suspendent dans un air chargé de tension, puis boum ! On dépose une finale à faire trembler les murs, comme un seul animal.

Des moments irremplaçables, qui existent dans toutes les musiques vivantes, de Beethoven aux Cowboys, en passant par Tchaïkovski et Led Zep.

Ça s’appelle jouer ensemble, mais ça marche seulement… ensemble.