Rhodnie Désir présente le fruit de trois ans de recherches documentaires autour du cœur, de ses soubresauts et de ses failles. On ne parle pas d’états d’âme ici (ou pas que), mais bien de l’organe, celui qui bat dans tous ces corps qui sont les nôtres.

Il n’existe peut-être pas de sujet plus universel. Un cœur qui bat – ou qui, soudainement, ne bat plus –, voilà un fil d’Ariane rouge sang qui nous relie tous, êtres qui ont les pieds posés sur le sol de cette planète.

Avec Symphonie de cœurs, c’est une œuvre tout en finesse que propose la première artiste associée à la Place des Arts dans la grande enceinte de la salle Wilfrid-Pelletier. Une création qu’elle a nourrie avec la démarche documentaire qui est la sienne, recueillant de multiples témoignages de chirurgiens, de cardiologues ou de personnes qui ont vécu des défaillances cardiaques ou une transplantation du cœur, par exemple.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Symphonie de cœurs, une œuvre tout en finesse, évocatrice sans être littérale

Le sujet est en soi évocateur, et il aurait pu être traité de façon littérale. Mais ce n’est pas les sentiers battus qu’emprunte Rhodnie Désir, et c’est tant mieux. La recherche documentaire s’est déposée dans les 11 corps des interprètes, dans la scénographie, dans la musique, rencontre inédite mais probante entre la musique de Jorane, interprétée en direct par l’Orchestre Métropolitain de Montréal, sous la direction de la chef d’orchestre Naomie Woo, et l’afrocontemporain (le beatmaker et concepteur sonore Engone Endong et le musicien et flûtiste absolument génial Lasso Sanou sont sur scène avec les danseurs). Un pont habilement tissé entre deux mondes.

Le passage du scientifique à l’artistique se fait de façon organique, subtilement, grâce à quelques éléments clés : un miroir incliné au-dessus de la scène, offrant des points de vue inédits sur les danseurs, rappelle la vue du personnel médical en contre-plongée sur le cœur exposé à nu ; un mur érigé en arrière-scène sert de toile pour projeter des images évoquant l’organe du cœur, les vaisseaux sanguins, le sang qui circule dans nos veines, rouge et bleu ; des bâtons plantés dans ce même cœur deviennent outils de création de pulsations, arythmie, polyrythmie.

Ces mêmes bâtons sont utilisés de multiples façons, surtout en début de spectacle – une danseuse qui tournoie au sol comme une horloge, tic-tac du temps compté ; une autre qui, dans un tableau méditatif, tient ce même bâton en équilibre sur sa tête tout en se mouvant lentement, comme en apesanteur.

Il y a plusieurs tableaux d’une grande beauté. La créatrice sait user des éléments scéniques à sa portée de façon ingénieuse – à partir de presque rien, elle crée des univers, comble les interstices. Les tulles noirs dont les danseurs se délestent, empilés, évoquent peut-être un caillot de sang ou une bête sombre qui rampe, comme la mort tapie dans l’ombre. À l’opposé, un drap blanc satiné ondoie sur les corps des danseurs, dont on ne devine que les silhouettes, lumière blanche, instant suspendu de pureté entre deux mondes.

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La scène finale, exaltante

La gestuelle, singulière, s’ancre dans le sol, dans le bassin et les hanches. Le corps, en constant déséquilibre, cherche son centre, se cambre derrière, s’alourdit devant, s’anime de soubresauts. Au sol, les pieds s’élèvent vers le ciel, forêt de jambes ondulantes qui se réfléchissent dans le miroir, le monde à l’envers. Les interprètes font preuve d’un aplomb assez impressionnant et habitent avec prestance le grand plateau qui pourrait en intimider plus d’un.

Si certains tableaux, plus statiques ou moins définis, captent moins l’attention, la finale est une pièce d’anthologie en soi. Une décharge électrique ranime les corps, les soulève, dans un ultime sprint exaltant dont le message ne peut être plus clair : courez, suez, vivez, pendant que ce cœur qui est le vôtre pulse encore dans votre poitrine.

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Symphonie de cœurs

Symphonie de cœurs

RD Créations/Rhodnie Désir

Salle Wilfrid-Pelletier, Jusqu’au 6 avril

7,5/10