Les allégations d’intoxication au GHB au Festi-Plage de Cap-d’Espoir, l’an dernier en Gaspésie, ont secoué les festivals partout au Québec. Elles ont aussi servi de bougie d’allumage : alors que les services sont implantés depuis quelques années à Montréal, le milieu festif en région se mobilise pour soutenir les victimes d’agressions et de harcèlement sexuels.

Un projet pilote, Festif & Safe, a par exemple vu le jour pour accompagner les festivals de la Gaspésie. Le festival BleuBleu, à Carleton-sur-Mer, qui a pris fin le 25 juin, a été le premier à accueillir sur son site les intervenants du centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) La Bôme-Gaspésie, mis en lien par le projet.

« Les festivaliers ont été heureux de voir une équipe présente sur le terrain puisqu’ils se souvenaient des allégations de l’an dernier », souligne Sara Ternoir, de la Table de concertation des groupes de femmes de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, qui est à l’origine de Festif & Safe.

PHOTO FOURNIE PAR SARA TERNOIR

Sara Ternoir, chargée de projet à la Table de concertation des groupes de femmes de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, qui est à l’origine de Festif & Safe

Le Festi-Plage de Cap-d’Espoir, qui débute le 26 juillet à Percé, sera le prochain à participer au projet de la Table de concertation. L’an dernier, plusieurs participants disaient avoir été agressés et drogués contre leur gré en marge du festival. Des plaintes avaient été portées à la Sûreté du Québec, qui a enquêté au sujet des allégations. « C’est vraiment important que ce soient des mesures collectives et non pas des mesures victimisantes ou à portée individuelle seulement », croit Sara Ternoir. Il est question d’identifier des ressources sur le terrain et dans les organisations des évènements « plutôt que de dire : check ton verre toute la soirée », ajoute-t-elle.

« On est dans un mouvement. On est loin d’être les seules », précise-t-elle. Le CALACS sera aussi présent pour la première année au Festif ! de Baie-Saint-Paul, qui commence le 20 juillet. Ce sont également les allégations à Cap-d’Espoir, l’an dernier, qui ont accéléré la mise en place de ressources sur le terrain, indique le directeur général, Clément Turgeon. « On a eu envie de prendre les devants », affirme-t-il, bien conscient que la tâche n’est pas simple pour tous les festivals qui n’ont pas nécessairement ce « réflexe ».

PHOTO SARKA VANCUROVA, ARCHIVES LA PRESSE

Un concert au Festif ! de Baie-Saint-Paul à l’été 2022

Comme d’autres évènements au Québec, le festival avait déjà sa « zone de réconfort » sur le site, où se trouvent des organismes œuvrant en prévention de consommation d’alcool et de drogue. Cet espace peut maintenant être utilisé par les personnes qui se sont senties visées par des violences sexuelles, soit des gestes psychologiques ou physiques, à caractère sexuel, qui sont portés contre quelqu’un sans son consentement. Ils peuvent prendre plusieurs formes, telles que le harcèlement, le voyeurisme et l’agression sexuelle.

Entre les mains des festivals et des dirigeants

L’enjeu sera la pérennité de ces espaces sûrs et la prévention à long terme, selon Sara Ternoir. C’est un avis que partage Jordanne Blais-Rochefort, une des cofondatrices de l’organisme Scène & Sauve : « Notre plus grand rêve, c’est d’arrêter d’exister. »

En plus d’avoir des intervenants présents sur le terrain lors des évènements, Scène & Sauve accompagne aussi les organismes dans la prévention des violences à caractère sexuel. Le projet a vu le jour après que deux étudiantes habituées de fréquenter les festivals, « alarmées par le manque de ressources », en ont eu assez de n’avoir personne vers qui se tourner lorsque des gestes d’agression sexuelle étaient commis contre elles.

L’absence de porte de sortie venait normaliser ces comportements-là.

Jordanne Blais-Rochefort

« On a décidé d’être la solution », ajoute-t-elle. Scène & Sauve a d’abord commencé à intervenir dans les fêtes étudiantes comme les initiations, et il se joint pour l’été à Aire commune à Montréal, qui accueille des évènements tout l’été. Aire commune n’avait pas de politique de prévention des violences à caractère sexuel avant l’arrivée de Scène & Sauve. « Scène & Sauve est aussi venu former nos employés. Comme ça, tout le monde, le serveur derrière le bar, le busboy, est un témoin actif et peut être un allié », explique Marie-Pier Tessier de L’étoile, cofondatrice et directrice générale d’Aire commune.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Marie-Pier Tessier de L’étoile, cofondatrice et directrice générale d’Aire commune, et Jordanne Blais-Rochefort, cofondatrice et présidente-directrice générale de Scène & Sauve

Les deux femmes espèrent que leur projet pilote inspirera d’autres acteurs du milieu à mettre la main à la pâte. Il faudra toutefois que ce soit un travail collectif, et qu’il inclue une multitude d’acteurs de la société québécoise, souligne Patrick Kearney, du Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants (REFRAIN). Les festivals peuvent se doter de mesures afin d’être prêts lorsque des intoxications au GHB arrivent, mais le gouvernement doit aussi être de la partie pour ce qui est de la prévention, ajoute-t-il.

Ce sera un gros travail d’équipe, de société. Tout le monde a son bout de responsabilité.

Patrick Kearney

Sara Ternoir est du même avis : « Notre objectif est aussi de remettre la responsabilité pas seulement entre les mains des festivals, mais dans les mains de nos décideurs politiques. » Elle aimerait s’asseoir avec les municipalités afin que les nouveaux festivals qui s’implantent aient des mesures de prévention des violences à caractère sexuel.

Un mouvement déjà lancé à Montréal

Un rapport du Conseil des Montréalaises publié en 2018 avait eu un effet boule de neige à Montréal. Depuis, les grands festivals de la métropole se sont dotés de brigades d’intervention visibles sur le terrain.

Selon ce rapport, l’absence de possibilité évidente d’appeler à l’aide est la première source d’insécurité chez les femmes lors d’un évènement festif extérieur.

Toujours selon le document, 56,4 % des répondantes disaient avoir vécu au moins une agression ou une forme de harcèlement, un nombre qui augmente pour celles âgées de 14 à 24 ans et pour les personnes s’identifiant aux communautés LGBTQ+.

Pendant les Francos, qui ont pris fin le 17 juin, la brigade d’intervenants habillés en rose, les Hirondelles, était présente sur le terrain. Ce n’est pas en vain : une intervention aurait eu lieu une fois tous les deux jours, selon Alain Simoneau, directeur de la sécurité du Groupe CH, qui rassemble la plupart des grands festivals montréalais sous la bannière d’evenko.

Les Hirondelles feront le tour des festivals chapeautés par la plus grande organisation en évènementiel à Montréal. Après les Francos, le Festival international de jazz de Montréal les accueille, puis Juste pour rire, avant leur migration au parc Jean-Drapeau, où auront lieu Osheaga et Île Soniq.

Pour ceux qui n’ont pas déjà emboîté le pas, Alain Simoneau est catégorique : « Il n’y a aucune raison de ne pas mettre en place des services comme ceux-là. »