Il y avait beaucoup de France, dans le concert D’Amérique et de France d’Isabelle Boulay présenté samedi aux Francos. On parle du répertoire, mais aussi de la manière. Mais ce spectacle fut surtout l’occasion de constater à quel point les chansons de Bashung transforment une interprète dont on croyait tout savoir.

Il s’est passé quelque chose lorsque, après avoir interprété une dizaine des chansons sentimentales qui ont fait sa renommée, Isabelle Boulay a entonné Ma petite entreprise, une chanson de l’inclassable poète-crooner-cowboy-rockeur Alain Bashung. Soudain, le jeu de ses musiciens est devenu plus nerveux et les pulsations sont devenues plus sournoises. La chanteuse elle-même s’est littéralement transformée sous nos yeux, délaissant la retenue à laquelle elle s’était cantonnée jusque-là pour bouger de manière plus habitée, plus charnelle.

Ce n’était pas que passager. Comme si Isabelle Boulay, qui vient de consacrer un disque très réussi aux chansons de Bashung, se libérait au contact de ce rock finaud teinté de country. C’était stupéfiant durant Madame rêve, morceau gonflé de sous-entendus érotiques, qu’elle a livré avec une élégance trouble, presque théâtrale, alors que ses cinq musiciens tissaient avec finesse un paysage sonore étrange et sensuel. C’était aussi grand durant Osez Joséphine, J’passe pour une caravane et Je t’ai manqué, livrées avec aplomb et une maîtrise parfaite du texte. Ce qui n’est pas rien quand on parle de la poésie déroutante de Bashung.

Ce segment, qui a occupé une bonne partie du dernier tiers du concert qu’Isabelle Boulay présentait au Théâtre Maisonneuve, tranchait tellement avec le reste de son répertoire qu’on a eu l’impression d’un spectacle inséré dans un autre.

Ce fut presque un moment de grâce, plus incarné encore que sur disque, qui donne envie de dire que si Isabelle Boulay osait poursuivre dans cette voie, le « grand péril » (ce sont ses mots) de se frotter à Bashung pourrait marquer un tournant dans sa déjà longue et fructueuse carrière.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Isabelle Boulay

L’autre spectacle qu’on a vu, c’est le versant de la chanteuse que l’on connaît : celle qui aime les chansons tristes, qui les rend de sa voix grave et chaude, des vagues plein l’âme, mais avec une retenue qui s’impose aussi naturellement à ses cinq musiciens. D’où le contraste entre le jeu tendu de la portion Bashung et les arrangements classiques, timidement folk-rock, de ses grands succès comme Je t’oublierai, Et mon cœur en prend plein la gueule, Parle-moi ou encore cette très belle chanson écrite par Benjamin Biolay, Ne me dis pas qu’il faut sourire.

Il a fallu quitter la salle au moment où la chanteuse présentait ses musiciens : Philippe Turcotte (clavier et direction musicale), Jocelyn Tellier (guitare), Olivier Laroche (guitare), Alex Kirouac (batterie) et Frédéric Beauséjour (basse et contrebasse). Isabelle Boulay allait ensuite chanter Entre Matane et Baton Rouge, très belle chanson écrite pour elle par Michel Rivard. La tension avait redescendu d’un cran, mais c’est quand même avec l’image d’une Isabelle Boulay nouvelle qu’on a quitté le Théâtre Maisonneuve. En espérant la revoir plus souvent, celle-là.

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Maude Audet, qui a récemment lancé son cinquième album, Il faut partir maintenant, assurait la première partie d’Isabelle Boulay.

Vus aux Francos

Kanen

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Kanen

Sur Mitshuap, son album paru plus tôt ce printemps, Kanen laissait déjà une très forte impression. Osons : sur scène, la jeune autrice-compositrice-interprète innue est une révélation. Elle a non seulement fait preuve d’un naturel réjouissant dans sa façon d’occuper l’espace, elle a surtout une qualité de présence remarquable, qui fait que l’émotion passe de manière directe entre elle et son auditoire. Les frissons n’ont pas été rares durant l’heure qu’elle a passée sur scène à livrer son rock souvent brut, mais aussi marqué par un épatant travail d’atmosphère réalisé par ses quatre accompagnateurs, dont le guitariste et claviériste Jérémie Essiambre et la bassiste Agathe Dupéré. Donnez-lui juste un peu de temps et l’occasion de se produire souvent en spectacle et Kanen, une jeune artiste au tempérament fort, deviendra une figure marquante de la musique autochtone d’ici et du rock québécois tout court.

Lilison di Kinara

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Lilison di Kinara

En tout début de soirée, on a fait escale au concert de Lilison di Kinara, qui se fait rare depuis longtemps sous nos latitudes, avec l’espoir de renouer avec la magie de Bambatulu, son très bel album de 1999. Le spectacle a eu un peu de mal à prendre son envol – la sono n’était pas optimale, côté public –, mais au bout d’un petit quart d’heure, son groupe et lui ont installé un groove languissant, sur lequel le chanteur bissau-guinéen posait sa voix haute, parfois murmurante. Lilison était entouré de cinq musiciens, parmi lesquels Bruno Rouyère et Jean-Marc Hébert aux guitares et Daniel Bellegarde aux percussions. Ce ne furent pas les retrouvailles escomptées, mais ce fut suffisamment enveloppant pour espérer du nouveau de la part de ce chanteur qui a marqué la musique métissée faite au Québec au tournant du millénaire.