L’artiste de Buenos Aires Tiziano Cruz arrive en ville avec Soliloquio, un défilé-manifeste festif et poignant, où il renoue avec sa culture en dénonçant les paradoxes d’un monde brisé. Aperçu en images.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Né dans les arrière-terres du nord de l’Argentine, Tiziano Cruz a fui la pauvreté en s’installant dans les grandes villes, où il a étudié dans les universités nationales de Tucumán et de Córdoba avant d’approfondir sa pratique en arts vivants et visuels. La mort de sa sœur, victime d’une négligence du système hospitalier en 2015, a été le point de départ de sa très politiqueTrilogie familiale, dont Soliloquio est le deuxième volet.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Chaque représentation de Soliloquio est précédée d’un défilé avec des artistes locaux d’origine andine. En tissant des liens et en construisant des ponts avec chaque communauté locale où il passe, l’artiste tente ainsi de renouer, par la danse, avec une culture qu’il ne connaît pas, de réactiver une mémoire collective perdue. Vêtus d’habits traditionnels, les danseurs, accompagnés de musiciens, ont parcouru la portion de la rue Sainte-Catherine comprise entre la place Émilie-Gamelin et Le National, sous les yeux d’un public curieux et enjoué.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

L’artiste porte un Quipus, un costume traditionnel inca composé d’une cordelette principale à laquelle s’ajoutent d’autres cordelettes colorées, tissées en laine ou en coton, une façon pour tout un chacun d’affirmer son identité et sa place dans la société. Tous les éléments du Quipus que porte Tiziano Cruz ont été collectés par son père durant un voyage de plusieurs heures que ce dernier a entrepris dans les villages à proximité de sa maison d’enfance, située à Jujuy.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

À l’angle d’Atateken et de Sainte-Catherine, la procession s’arrête. L’artiste prononce en espagnol — chaque énoncé étant ensuite traduit en français par une interprète – le début de son manifeste, qu’il poursuivra plus tard sur la scène du théâtre. Il dénonce l’exploitation systémique des peuples autochtones et de leurs terres, la violente discrimination que subissent les marginaux, pauvres et minorités de ce monde, la « politique de blanchiment » qui a cours. « On a toujours voulu nous effacer », dira-t-il.

PHOTO HUMBERTO ARAUJO, FOURNIE PAR LE FTA

Soliloquio est inspiré de souvenirs d’enfance brouillés et épars de Tiziano Cruz et des 58 lettres que l’artiste a écrites à sa mère, qu’on voit ici sur la photo, durant la pandémie. La pièce est un soliloque poignant, d’une noire poésie, d’un homme souffrant du « mal de l’oubli » qui se présente avec tous ses paradoxes, qui sont aussi ceux d’un monde où règne « l’économie de la violence », dominé par le capital et la corruption de la politique, auquel n’échappe pas même l’artiste, coupable de participer à la marchandisation de l’art.

PHOTO DIEGO ASTARITA, FOURNIE PAR LE FTA

« Quelle place a l’art du corps dans un pays où mon corps disparaît face au désir d’une société blanche ? » Telle est l’inscription en lettres capitales noires sur écran blanc qui accueille les spectateurs au National. Dans une performance d’une quarantaine de minutes, alternant entre manifeste psalmodié et moments performatifs, l’artiste dresse un portrait cynique, mais lucide de notre monde brisé, essayant, du même souffle, de « créer de nouvelles façons d’être, et de vivre, pour créer de nouveaux mondes, dépouillés de toute violence ».

Soliloquio

Soliloquio

Tiziano Cruz

Le National/Point de rencontre : place Émilie-Gamelin, 29 et 30 mai, 19 h