L’Organisation météorologique mondiale vient d’annoncer que les cinq prochaines années seront les plus chaudes jamais enregistrées sur Terre. Les pires prédictions des scientifiques se confirment semaine après semaine et je ne trouve rien de mieux à faire que de chercher un rabais pour un climatiseur, qui fait partie du problème, mais je me donne la triste excuse de ne pas avoir pris l’avion depuis plus de trois ans.

Dans le dernier numéro du magazine Nouveau Projet, Nicolas Langelier signe un éditorial très dur sur le manque de vision de la CAQ pour affronter l’avenir et le démantèlement de l’État depuis 40 ans qui nous laisse chacun dans notre coin devant la menace. Langelier parle de « nécroéconomie », c’est-à-dire « une économie de la mort qui — de manière irrationnelle et à l’encontre du “gros bon sens” auquel François Legault et ses semblables se disent tellement attachés — va extraire jusqu’à la dernière miette de ressources de cette planète et de ses habitants, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une terre exsangue, une population lessivée ».

« Nous devrions être enragés de tout ce qui nous a été enlevé, volé, déconstruit en pleine face, au cours des quatre dernières décennies de néo-libéralisme », écrit-il, en parlant des gains de « nos aïeux militants, syndicalistes, politiciens, simples électeurs » qui espéraient un monde meilleur.

S’il y en a une qui porte cette colère, et qui nous dépeint un monde où la cruauté grandit à mesure qu’il se consume, c’est bien Dalie Giroux. J’avais été très impressionnée par L’œil du maître paru en 2020, qui recadrait l’histoire coloniale du Québec très loin des fantasmes en apportant une nouvelle façon de nous penser.

Elle est de retour avec Une civilisation de feu, qui se présente comme une détonation : « Si certains peuples peuvent dire qu’ils sont le peuple du caribou ou le peuple du poisson blanc, parce qu’ils vivent de ces animaux, nous, les industrialisés de tout acabit, nous sommes le peuple des explosifs. Et on est en train de se faire sauter. »

PHOTO JAKE WRIGHT, FOURNIE PAR MÉMOIRE D’ENCRIER

Dalie Giroux

Pas de doute, c’est un pamphlet, écrit par fragments, qui ratisse large et parle sans détour de ce monde en train de se défaire, de notre échec dans cette tâche qui devait être la nôtre après la Seconde Guerre mondiale, selon Camus.

Ce que raconte Dalie Giroux est une civilisation dopée aux énergies fossiles, et tellement dépendante qu’elle préfère aller vers son annihilation plutôt que de choisir le sevrage.

« On sait que notre manière de vivre est une organisation explicite de l’autodestruction », affirme Giroux, en ajoutant : « Le divin explosif est, comme les armes à feu dans les Walmart américains, en vente libre à la pompe. Comme on le scande ces temps-ci devant les parlements capitalistes : liberté ! Notre territoire est foncièrement, intégralement et irrémédiablement un territoire fossile. » Et notre vie, dit-elle, est celle de la « mobilité apocalyptique ».

Alors que les extrêmes climatiques se multiplient — je ne pensais pas voir ça de mon vivant, disons — et qu’on interroge encore les ruines de Lac-Mégantic, Giroux dit que « le populisme de droite délaisse ainsi graduellement le négationnisme climatique pour proposer une défense “verte” de la nation : contrôler les hausses de températures pour limiter les flux migratoires, et limiter les flux migratoires pour protéger le terroir national de la pollution que constitue l’immigration ».

L’auteure rappelle que la crise des gilets jaunes en France a été déclenchée par l’idée d’une taxe carbone à la pompe et elle comprend la hargne. « Les gens ordinaires, protestant contre la vie chère, veulent du pétrole, leur vie en dépend — et ils ont bien raison : toute la vie telle que nous l’avons toujours connue repose sur la vitesse fossile inaugurée par les pratiques industrielles de combustion. »

Notre mode de vie est effectivement menacé, bien plus que nous le pensons, mais pas par les boucs émissaires que nous nous créons ; c’est le mode de vie lui-même qui est intenable.

L’une des manifestations les plus spectaculaires de la crise climatique est le refus de plus en plus violent de ce réel terrifiant, et peut-être faudrait-il voir derrière la manifestation des camionneurs à Ottawa quelque chose de beaucoup plus grave qu’une protestation contre les mesures sanitaires. « Fake news ! » est un affect politique : il signifie que notre monde s’écroule et que l’on refuse catégoriquement que ça nous arrive, note-t-elle, tandis qu’un ami lui dit que la contre-culture est maintenant à droite. « La puissance de profanation du discours conspirationniste — sa force subversive — n’est pas le moindre de ses atouts », constate-t-elle, et il faudra avoir le courage de comprendre cette « joie de haïr » qui se répand.

Le rejet du régime actuel est profond, croit Giroux, « mais il se manifeste par un désir répressif de retour en arrière autoritaire et de rétablissement des hiérarchies plutôt que par une demande transformatrice de justice. » N’en doutons pas, les politiques l’ont remarqué aussi, et « les Bolsonaro, Trump, Zemmour, Johnson, Musk admirés partout où pointent des satellites, dans la pseudo-intimité politique des réseaux sociaux, résistent psychiquement et physiquement en “notre nom”, en nous et par nous, “comme” nous à la réalité dangereuse du présent ».

Ils sont probablement les derniers à entretenir l’illusion d’un monde qui pourrait retourner en arrière, et la catastrophe sera peut-être consommée quand les peuples finiront par comprendre que ce n’était que ça, une illusion. En ce sens, Dalie Giroux se demande si la poétesse Huguette Gaulin, qui s’est immolée par le feu dans le Vieux-Port de Montréal en 1972 en lançant « Ne tuons pas la beauté du monde », n’était pas une « Cassandre de la civilisation fossile ». En tout cas, j’ai eu l’impression de me brûler les doigts en lisant Dalie Giroux — c’est un compliment.

Une civilisation de feu

Une civilisation de feu

Mémoire d’encrier

170 pages