« Pas besoin d'être coupable pour vivre en prison », lance un performeur de Home Dépôt. Un spectacle qu'on annonce comme « une plongée sans filet dans l'univers du CHSLD, lieu du vivre et mourir institutionnalisé ». Car la vie se charge d'enfermer les individus « libres » dans leurs prisons intérieures.

Celles-ci prennent plusieurs formes : elles peuvent être les cloisons du rang social, les murs de la morale ou de la religion, l'asservissement des relations toxiques ou encore les propres limites des corps malades, brisés, fatigués...

Or ici, la prison, c'est l'univers terne et écrasant des CHSLD. En transposant au théâtre les quatre murs d'une minuscule chambre de résidant, on décrit le désir de liberté bafoué de ces personnages en marge de la société active. Le but de l'exercice ? Nous permettre de poser un regard authentique et dénué de préjugés sur ces gens-là, en plus de nous sensibiliser au phénomène de l'inclusion des personnes avec un handicap.

Ode à la liberté

Restons critique, Home Dépôt :  un musée du périssable est un objet scénique curieux, unique, mais imparfait. Artistiquement brouillonne, mais humainement très riche, la proposition mérite quand même le détour à Espace Libre, un théâtre qui n'aura jamais aussi bien porté son nom : Home Dépôt est un hymne à la liberté.

À notre arrivée, on nous remet des couvre-chaussures en plastique bleu poudre, puis on nous dit de prendre un numéro et de patienter avant d'entrer en salle. À l'intérieur, une demi-douzaine d'interprètes sont habillés en préposés aux bénéficiaires. Autour d'eux, de (vrais) patients assis dans leur fauteuil se déplacent dans le décor encombré. Juché sur une plateforme, un musicien (Cédric Soucy) joue un refrain joyeux, tandis qu'une danseuse (Claudia Chan Tak) s'exécute intensément.

Le public est invité à se déplacer dans l'espace, avec sa chaise, ou à demeurer dans les gradins.

Enfermé dans une cage vitrée, le lumineux comédien Alexandre Vallerand se tord sur un lit de camp. La voix hors champ du narrateur (Dany Boudreault) nous parle de lui, de son handicap, mais surtout de sa belle lucidité. À tour de rôle, trois auteurs s'avancent pour lire un court texte, écrit après avoir rencontré un résidant de CHSLD, partageant avec nous l'intimité de leur expérience bouleversante.

Inclusif et festif !

En fin de compte, ce spectacle éclaté et poétique, festif et rebelle, social et musical nous procure un étrange sentiment. Entre des scènes émouvantes, les créateurs avancent des statistiques sur ces gens vivant en « milieu de soins ». On apprend que la visite est rare dans les CHSLD. Le quart des résidents a régulièrement des visiteurs ; la moitié voit ses proches uniquement lors des jours fériés ; et un patient sur quatre n'a aucune visite. Ces derniers sont inscrits sous curatelle, ou simplement délaissés par leur famille. Et dire qu'on s'en va tous vers là, ou presque, dans l'indifférence totale...

Si l'expérience est touchante et exemplaire - Home Dépôt procure de la joie dans les coeurs des participants sur scène et du public dans la salle -, ce spectacle de plus de deux heures nous laisse, par moments, un peu mal à l'aise. 

À la sortie, on se questionne sur le sort d'Alexandre, Jean-Martin, Francette, Rémi et les autres vaillants résidants-collaborateurs, une fois que le rideau tombera pour de bon sur la production. Loin des projecteurs, garderont-ils le souvenir d'un précieux moment de bonheur ? Ou resteront-ils dans l'oubli et l'indifférence de leur prison libre ?

Home Dépôt :  un musée du périssable

D'Anne Sophie Rouleau et Marie-Ève Fortier, par la compagnie Matériaux Composites.

Au théâtre Espace Libre, jusqu'au 9 mars.