Dans Centre d'achats, la dramaturge Emmanuelle Jimenez décrit la vie de sept femmes engouffrées dans la passion d'acheter. Le faux marbre et les vitrines sont leurs barreaux. Michel-Maxime Legault y dirige Danielle Proulx, Anne Casabonne, Marie Charlebois, Marie-Ginette Guay, Johanne Haberlin, Tracy Marcelin et Madeleine Péloquin.

Emmanuelle Jimenez a trois pièces à l'affiche cette saison. Cendres, un texte sur des retrouvailles familiales mis en scène par Menka Nagrani au Prospero en février ; Bébés coécrit avec Alexis Martin, présentée à Espace libre en avril 2019; et Centre d'achats, ce temple du magasinage, lieu d'aliénation, mais aussi de communauté.

«Il y a une forme de violence qui vient du lieu, croit la dramaturge. Le centre d'achats est très chargé de sens. Avec les slogans publicitaires, les images, la musique et tout ce qu'il propose, ce lieu incarne un peu une proposition que nous fait le capitalisme: voici le sens qu'on donne à votre existence.»

Tout au long de la pièce, les personnages cherchent à se «perdre» dans ce haut lieu de consommation. À oublier, à s'oublier. On y plonge comme en apnée, mais on peut également y découvrir une faune multicolore.

«C'est un lieu saturé. On y trouve trop de tout : objets, musique, odeurs, couleurs, ventilation. Je suis partie de ma relation intime avec les centres d'achats. On y est en quête de quelque chose. J'y ai du fun, je trouve ça inspirant. Avec le puits de lumière, les colonnes, les hauts plafonds, il y a quelque chose de grandiose, c'est comme un château.»

Euphorie

Son texte n'est donc pas que vague à l'âme. On vit une certaine euphorie de départ dans un centre commercial, souligne Emmanuelle Jimenez.

«Quand j'en sors, je suis presque en burn-out. C'est une surstimulation. Mais c'est aussi la "place du village", un lieu communautaire. Il y a un plaisir, c'est celui d'un labyrinthe sans danger. Tu peux manger, acheter des vêtements, te divertir...»

On y trouve de tout, même une pharmacie, pourrait-on ajouter. Et pourquoi pas sa religion?

«J'ai découvert qu'aux Galeries d'Anjou, il y avait une chapelle! Ça ne s'achète pas, elle s'appelle: la boutique du silence. Ce n'est pas associé à une religion en particulier. C'est un endroit de recueillement dans un parfait silence.»

Les personnages de la pièce magasinent en duo. Durant leur parcours, leur relation avec le lieu évolue. On peut passer de la joie au dégoût au sujet du prix des pantoufles.

«Je me suis beaucoup intéressée aussi aux relations qu'elles entretiennent les unes avec les autres. Leur conscience s'éveille et j'utilise un choeur pour passer du réalisme à une langue plus poétique. En dehors de la réalité, le choeur nous dit comment le centre d'achats nous érotise et nous vide.»

Femmes au théâtre

Emmanuelle Jimenez ne se sent pas vidée par le travail qui l'occupe, trois pièces prenant l'affiche en six mois cette année, avec des sujets comme la consommation, le deuil et les enfants. Comme membre du FET (Femmes pour l'équité en théâtre), elle sait très bien que le nombre de textes de femmes ou la présence de metteures en scène restent problématiques actuellement.

«Le FET a été comme un réveil brutal pour moi, avoue- t-elle. J'ai été chanceuse, même si c'est un parcours semé d'embûches. Autour de moi, il y a plein de femmes qui écrivent. On se côtoie beaucoup. J'avais l'impression que les femmes et les hommes avaient une place égale, mais c'est loin d'être le cas. Mais il y a eu une prise de conscience depuis.»

Les directions artistiques changent ou, du moins, font des gestes dans ce mouvement vers la parité, même s'il faut avouer que certaines dramaturges et metteuses en scène travaillent beaucoup plus que d'autres. 

«Je pense que c'est un passage obligé qu'on voie les mêmes qui travaillent beaucoup pendant un bout de temps. Ça me fait penser à #metoo. Ça prend des modèles. Je crois que ça fait avancer les esprits. On a fait se redresser les oreilles. Le mouvement doit aussi se faire naturellement.»

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Centre d'achats est présentée au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 1er décembre.