Guy Jodoin tiendra le rôle principal de la pièce Bilan, de Marcel Dubé, au Théâtre du Nouveau Monde, dans une mise en scène de Benoît Vermeulen, à compter du 13 novembre. Il anime depuis 2012 le quiz Le tricheur à TVA.

Tu incarnes différentes choses pour différentes personnes. Tu es le capitaine de Dans une galaxie près de chez vous pour les milléniaux, l'acteur de Contre toute espérance de Bernard Émond pour les cinéphiles, l'animateur de TVA pour d'autres. C'est le hasard qui a fait ça?

Oui. Je suis quelqu'un qui aime essayer différentes choses. Quand ça ne fonctionne pas, je délaisse. Mais j'aime les défis. Pourquoi Bernard Émond a pensé à moi? Parce qu'il m'a vu au théâtre. J'en étais le premier surpris. J'animais Sucré Salé!. C'était hyper populaire. Il m'a dit que ce n'était pas pour ça... [Rires] Il m'a pris parce que j'avais l'air de monsieur Tout-le-Monde, d'un homme ordinaire. «T'as pas de personnalité, t'as l'air de rien ? C'est toi que je veux!» [Rires] J'étais content de faire du cinéma, parce qu'il y a peu d'occasions. Mais peu importe le médium, je trouve mon compte.

C'est ta personnalité qui fait que tu es appelé autant à gauche qu'à droite? Que le spectre va de Bernard Émond à Sucré Salé !, du film d'auteur austère à l'ultrapopulaire?

Je ne dis non à rien, au départ! À l'école de théâtre, on nous avait proposé d'aller voir une pièce de vaudeville au Théâtre des Variétés. Des copains avaient refusé. Moi, je voulais voir ça. J'ai compris tout le travail qu'il y avait derrière. Quand on m'a proposé de faire de la radio, j'ai accepté aussi. Je pars quand je sens que je n'apporte rien. J'ai arrêté Sucré Salé! au bout de 13 ans pour ça. Je n'étais plus là. J'avais fait le tour. J'ai quitté un coussin doré. Rien d'autre ne m'attendait. Mais j'avais donné tout ce que je pouvais donner. Si j'étais resté, j'aurais trahi les téléspectateurs et je me serais trahi moi-même. C'est facile comme animateur de dire: «Je ne joue plus.» C'est beaucoup plus payant d'être animateur qu'acteur.

Il y a un piège là, qui guette beaucoup d'acteurs devenus animateurs. Des Patrice L'Écuyer, André Robitaille, Charles Lafortune, qui veulent jouer, mais à qui on offre quantité de jobs d'animation. Et qui sont tiraillés entre les deux. Comment as-tu géré ça?

Je suis une tête de cochon. Parce que c'est un piège énorme, en effet. Je ne suis pas juste un bouffon qui ne fait que niaiser. J'ai quand même une tête solide. Je travaillais sur Le tricheur et La magie des stars et j'ai négocié un mois de congé pour préparer Bilan au théâtre. Au départ, il y a eu un clash, qui est naturel. Les gens de télé ne comprenaient pas pourquoi j'avais besoin de ça. Je leur ai fait comprendre que s'ils voulaient me faire mourir, ils n'avaient qu'à m'empêcher de jouer! Et que s'ils voulaient que je continue à avoir du plaisir à l'animation, il fallait qu'il y ait un équilibre. Mais la télévision ne se tasse pas facilement pour le théâtre! J'ai une certaine notoriété qui m'a permis ça, je crois. Le théâtre, c'est hyper important pour moi. On ne fait pas ça pour l'argent. On fait ça comme une gymnastique physique et mentale, pour retrouver une gang et tripper.

Est-ce qu'il y a eu des moments où tu as craint que la carrière de l'animateur prenne le pas sur celle de l'acteur?

Oui. Quand je me suis rendu compte qu'aux yeux du public, je n'étais plus un comédien. C'est insidieux parce qu'on passe d'une animation à une autre. Célébration 2006, 2007, Les auditions de Star Académie en direct, le gala Artis. Ça va vite que l'agenda est rempli. Mais moi, j'ai fait une école de théâtre. Ce que j'aime à la base, c'est me mettre dans la peau de quelqu'un d'autre. C'est mon plus grand plaisir. Comment j'ai réussi à ne pas tomber que dans l'animation? En proposant des choses et en acceptant toutes sortes de projets. Des capsules gore à petit budget pour Fantasia. Le film d'Adib Alkhalidey et de Julien Lacroix, même si je n'étais pas leur premier choix. M'entends-tu? à Télé-Québec, que Florence Longpré m'a proposé après m'avoir vu dans une soirée-bénéfice de la LNI. J'adore embarquer dans ces projets-là. Et je n'ai pas peur de faire un flop. Je veux juste pouvoir payer ma carte de membre de l'UDA comme comédien! Je ne veux pas prendre la place de personne. Je veux juste jouer!

Tu parlais de tes camarades de classe qui refusaient d'aller voir du vaudeville. Quel regard poses-tu sur le snobisme dans les milieux artistiques? Tu disais que dans l'oeil du public, à un moment donné, tu n'étais plus un comédien. Dans l'oeil du milieu théâtral, tu étais, j'imagine, la vedette populaire. Ne me dis pas que ce snobisme n'existe pas!

Il existe, c'est sûr! Mais je pense que je n'y porte pas trop attention. J'essaie de me dépasser moi-même. Toi, tu fais partie de l'intelligentsia. Toi, tu fais partie des gens qui ne sont pas nécessairement «populaires». Et tu m'interviewes aujourd'hui. Pourquoi tu m'interviewes? Pourquoi tu as décidé de parler à Guy Jodoin? Ça fait 30 ans qu'il est dans ce métier-là. Et aujourd'hui, tu as décidé de le rencontrer. Peu importe pourquoi tu as décidé de le faire, c'est mon travail à moi de m'étaler comme une pieuvre, et de retirer mes tentacules quand ça ne fait pas mon bonheur. Pour moi, le théâtre, c'est important. Le cinéma de Bernard Émond, c'est super important. Le tricheur, c'est important. Je n'ai pas l'impression de réinventer la roue, mais je permets à des gens de décrocher. Je cherche à toucher les gens et je ne boude pas mon plaisir.

Donc, les snobs ont tort...

Je pense que personne n'a tort. Normand Brathwaite et Marc Béland sont sortis de l'école en même temps. Normand s'est fait bouffer par les pubs de lait. Marc, qui est un acteur hallucinant, a dit: «Moi, jamaaaais!» Ma mère dit que ça prend toutes sortes de monde pour faire un monde. Jamais je ne vais cracher sur les gens. S'ils sont rendus quelque part, c'est parce qu'ils ont quelque chose à défendre. Tant mieux. Moi aussi, de mon côté, j'ai quelque chose à défendre. Chez Bernard Émond, au Tricheur, ici au TNM. On ne défend pas les mêmes choses, mais je pense qu'on fait tous avancer, à notre manière, le Québec. Toi avec tes chroniques, moi à ma façon. Même si certains ont l'impression que moi, je le fais moins avancer des fois.

Quand tu dis ça, j'ai l'impression que tu témoignes d'une forme de snobisme ou de mépris pour ce qui est populaire. Les quiz, par exemple. Est-ce que tu nourris des complexes par rapport à ça?

Oh non! Sinon je ne serais pas là. On m'a vendu Le tricheur comme un quiz où je pourrais jouer. C'est pour ça que j'ai accepté. Si tu m'avais posé la question sur le cinéma, je t'aurais dit qu'on a besoin de cinéma américain ET de cinéma québécois, même si Bernard ne serait peut-être pas d'accord! C'est un écosystème. On ne choisit pas entre les poissons et le plancton. On aime mettre les gens dans des cases. Au début de ma carrière, ça dérangeait beaucoup: «Es-tu comédien ou animateur?» Ça mélange le monde? Tant mieux!

Tu aimes te retrouver où on ne t'attend pas nécessairement...

Je fais toujours ça. J'aime déranger. J'aime les malaises. J'aime fucker la tête des gens et faire en sorte qu'on ne puisse pas me mettre dans de petites cases. Quand j'étouffe, je fais autre chose ou je fais ce que je veux! J'ai un côté délinquant très fort. Je suis un étudiant sérieux mais rebelle. J'ai été accepté en génie mécanique à Polytechnique, en 1989, avant de décider d'étudier en théâtre. J'ai un bagage très méthodique, mais quelqu'un qui me verrait me préparer pour cette pièce-là dirait que ce n'est pas loin de la folie! L'investissement est épeurant. C'est un métier fou. Mais je m'amuse comme un fou!