Coriolanus à Stratford, SLĀV à Montréal, La flûte enchantée à Québec, l'été de Robert Lepage a de quoi donner le tournis. Fidèle à lui-même, l'homme aborde ces défis avec sagesse. Rencontre avec celui qui troque le soleil pour les projecteurs de théâtre.

Au début du mois, vous avez signé la mise en scène du ballet Frame by Frame pour le Ballet national du Canada, la première de Coriolanus a eu lieu vendredi au Festival de Stratford, celle de SLĀV a lieu demain à Montréal. Le 31 juillet, ça sera au tour de La flûte enchantée de prendre son envol à Québec avant de se rendre à New York. Pour le commun des mortels, cela ressemble à un incroyable tourbillon. Est-ce aussi le cas pour vous ?

En effet, c'est un gros tourbillon pour moi. Je mène toujours plusieurs projets en même temps, mais là, il est vrai que c'est très particulier. Normalement, je travaille par blocs. On fait deux ou trois semaines de travail et de recherche, et on met cela sur la glace pour un bout de temps avant de reprendre. Ce qui est spécial en ce moment, c'est que toutes les premières ont lieu à peu près en même temps. J'ai la langue à terre, un peu.

C'est difficile de tenir le coup ?

À la veille d'une première, on n'a pas le même type d'énergie, de trac ou d'angoisse. C'est sûr que je m'ennuie un peu des années où je lançais plusieurs choses et où c'était plus relax. Depuis quelques mois, je vis une période très intense. Finalement, je n'aurai pas vu l'année de mes 60 ans.

On m'a raconté que vos proches vous ont organisé une grande fête pour cet anniversaire en décembre dernier. Ça vous fait quoi de vieillir ?

Vous voulez que l'on parle de mon âge ? [Rires] Cette fête m'a procuré un beau feeling, celui que la vie a été bonne pour moi et pour les gens autour de moi. Vieillir ne me fait pas peur. C'est sûr qu'il y a des choses que je ne peux plus faire, mais j'aime l'idée que nous vieillissons avec de plus grandes connaissances, avec de meilleures intuitions. Quand j'entends des gens dire qu'ils aimeraient avoir de nouveau 25 ans, je me dis : ben voyons donc ! J'étais épais, à cet âge-là. Il y a un an, j'étais épais. C'est comme ça que je vois les choses. On valorise la jeunesse surtout pour l'énergie et la santé. Moi, je vois tous les projets qui sont devant moi et je suis très heureux.

Justement, plongeons dans quelques-uns de ces projets. Vous allez une fois de plus entrer dans l'univers de Coriolan. Vous avez visité cette oeuvre de Shakespeare plusieurs fois. La première fois remonte à quand ?

C'était avec le Théâtre Repère en 1983. Comme il y avait plus de filles que de gars dans le groupe, on avait inversé les rôles. Il y avait parmi les comédiennes des femmes au tempérament fort, comme Marie-Thérèse Fortin. Les trois gars jouaient les rôles féminins et les filles interprétaient les personnages masculins.

Qu'est-ce qu'il a encore à vous dire, ce fameux Coriolan ?

Quand tu t'attaques à une pièce de Shakespeare, tu ne peux pas te contenter de la monter une seule fois. Tu dois la revisiter. Ses pièces sont des joyaux. On y retrouve plusieurs facettes. Elles sont souvent en phase avec l'époque où tu décides de les monter. Dans le cas de Coriolan, j'ai toujours présenté ce personnage comme quelqu'un d'antipathique, d'élitiste, qui n'aime pas son peuple. Dans cette culture des réseaux sociaux dans laquelle on vit et qui fait que des décisions des gouvernements sont prises en fonction des « likes », on se rend compte que c'est l'ignorance générale qui décide de tout. J'exagère un peu, mais je ne suis pas loin de la réalité. C'est quelque chose qui m'horripile en ce moment.

Vous avez donc intégré cette réalité dans Coriolan ?

C'est totalement dans Coriolan, c'est exactement le propos de Coriolan. Ce qui tue Coriolan, c'est que l'on donne raison au peuple. Si tu remplaces le fameux « monstre à mille têtes » dont il est question dans la pièce par les « likes » et les gens qui participent aux tribunes téléphoniques, on arrive au même résultat. Et l'autre chose qui est intéressante, c'est que cette pièce se déroule au moment où Rome devient une république. La pièce est une formidable étude du fonctionnement du système républicain. Pourquoi ça marche en France et pourquoi ça marche tout croche ailleurs ? Avec l'arrivée de Trump, on a un bel exemple de cela.

Je suis fasciné, car j'ai l'impression d'entendre un metteur en scène me parler du texte d'un jeune auteur.

Quand les gens de Stratford m'ont demandé de monter un Shakespeare, j'étais obsédé par ces questions. Et, tout à coup, ça m'a frappé. Coriolan se demande pourquoi ce sont les gens ignorants qui prennent les décisions, et non pas les gens qui ont les connaissances nécessaires. C'est un grand et grave problème de société dont il faut absolument débattre.

Quand j'ai vu que vous alliez signer la mise en scène de La flûte enchantée, je me suis dit que c'était totalement pour vous et que vous alliez vous amuser.

On me l'a proposé souvent, mais je n'aime pas travailler sur des choses qui n'ont pas besoin de moi. Cet opéra a été souvent monté de façon brillante. Mais bon, la demande est venue du Metropolitan Opera. On me donne du temps pour trouver mon affaire à moi là-dedans. En plus, j'ai l'occasion de créer cet été ma mise en scène au Festival d'opéra de Québec avant d'aller au Met.

À travers tout cela, il y a la tournée de 887 [présentée cet automne au TNM à guichets fermés] et, plus tard chez Duceppe, la reprise de La face cachée de la Lune avec Yves Jacques.

Je vais aussi reprendre Quills au Centre national des Arts, à Ottawa. Et puis, il y a ce nouveau projet que je vais amorcer en septembre à Moscou. Finalement, il y a le projet Kanata que je vais créer le 12 décembre [le soir de son 61e anniversaire] avec le Théâtre du Soleil.

Ça, c'est intéressant, car c'est la première fois en 53 ans qu'Ariane Mnouchkine laisse un autre metteur en scène qu'elle diriger ses acteurs et monter un spectacle avec la troupe.

On a une longue et belle complicité, elle et moi. Elle est un modèle, bien sûr. Elle s'intéresse beaucoup à mon travail et à Ex Machina. Elle a souhaité prendre une pause et m'a demandé de monter un spectacle. C'est formidable, car je découvre une autre façon de travailler grâce à eux. Ils sont très heureux. Ils sont venus chez nous faire des séances de travail. On est allés dans l'Ouest canadien. On va jouer un bon bout à la Cartoucherie [à Paris], on part ensuite en tournée avant d'aller à New York. On espère pouvoir amener ce spectacle un jour à Montréal. Mais bon, disons que c'est une grosse caravane à amener. Ils sont 35 acteurs, plus les techniciens et les musiciens.

Lisez mardi le compte rendu de la pièce Coriolanus dans la chronique de Mario Girard, dans La Presse+.

Photo fournie par le Ballet national du Canada

Le ballet Frame by Frame, monté par Robert Lepage pour le Ballet national du Canada

Photo David Hou, fournie par le festival de Stratford

La première de Coriolanus a eu lieu vendredi au Festival de Stratford.

Une partie du calendrier de Robert Lepage

Coriolanus

Jusqu'au 9 octobre au Festival de Stratford

Coriolan

Du 15 janvier au 9 février 2019, au TNM

La flûte enchantée

31 juillet, 2, 4, 6 août, au Grand Théâtre de Québec

887

Du 23 octobre au 3 novembre, au TNM

La face cachée de la Lune

Du 3 avril au 11 mai 2019, au Théâtre Jean-Duceppe