Dès ce soir, la scène du Rideau Vert se transforme en hôpital psychiatrique pour accueillir la galerie de bénéficiaires et d'employés de Vol au-dessus d'un nid de coucou. Une pièce qui s'annonce comme l'un des événements du printemps au théâtre, avec Mathieu Quesnel dans le rôle de Randle McMurphy et Julie Le Breton dans celui de garde Ratched, le couple le plus antagonique du répertoire.

On a tous vu le film de Milos Forman - ou, du moins, on en a entendu parler -, avec Jack Nicholson et Louise Fletcher, qui a raflé les cinq principaux Oscars en 1976. Or, le roman éponyme de Ken Kesey est paru bien avant, en 1962. L'année suivante, l'acteur Kirk Douglas a acheté les droits du livre pour jouer McMurphy sur une scène de Broadway. À la création, la critique new-yorkaise a descendu la production. Toutefois, la pièce a été reprise en 1971, et a donné plus de 2000 représentations, un succès qui ouvert la voie vers Hollywood.

C'est Michel Monty qui a proposé Vol au-dessus d'un nid de coucou au Rideau Vert. Il a fait une nouvelle traduction et une adaptation de la pièce de Dale Wasserman. Le titre fait bien sûr référence au terme anglais « cuckoo », qui est à la fois un oiseau et une personne avec des problèmes mentaux.

Lutte contre le pouvoir

Dans son mot au programme, le metteur en scène compare l'oeuvre à Antigone de Sophocle. « McMurphy a le même ADN qu'Antigone, tandis que garde Ratched partage celui de Créon, écrit Monty. Comme Antigone, McMurphy est prêt à aller jusqu'au bout pour défendre la liberté et combattre l'injustice. Il est impétueux, intègre et direct. De son côté, garde Ratched veille sur la salle de séjour de l'aile psychiatrique comme Créon sur les portes de son palais. Elle est la gardienne de l'ordre social. Son costume immaculé d'infirmière fait office d'armure et la rend inattaquable. »

Mathieu Quesnel, qui a souvent travaillé avec Michel Monty, partage son avis. « Mon personnage est un "bum" qui joue la folie pour éviter la prison. Une fois interné, il amène la liberté, mais aussi le chaos dans l'hôpital. »

« C'est une lutte sans merci entre deux individus aux antipodes : l'un incarne le système très rigide et l'autre, la révolte et la marginalité. »

« Le récit de Ken Kesey se passe au début des années 60, ajoute l'acteur. Il reflète aussi le climat de l'époque, la contre-culture, la contestation sociale, la vague psychédélique et les valeurs des baby-boomers. »

À chacun sa vérité : de son côté, l'infirmière en chef croit aider les patients avec les thérapies et les règlements de l'hôpital. « Je ne joue pas seulement la cruauté de Ratched, explique Julie Le Breton. Ce serait trop plate. Il faut comprendre pourquoi elle est devenue si autoritaire. »

Selon la comédienne, l'infirmière s'est créé un système hyper rigide et refuse de se poser des questions pour ne pas s'écrouler. « Au fond, je crois que cette femme est très anxieuse, dit la comédienne. Elle a besoin de cette grosse carapace pour survivre. L'arrivée de McMurphy va creuser un gouffre en elle, au-delà la lutte de pouvoir entre les deux, ce patient vient la chercher dans sa faille. »

Différent du film

Les deux comédiens ont, bien sûr, vu le film. Plusieurs fois. « Mais dès le moment où la troupe a commencé les répétitions, explique Quesnel, nous entrons dans un processus de création dans lequel on oublie le film. Et la pièce, ce n'est pas le film. C'est un huis clos. On ne va pas à la pêche en bateau. »

Michel Monty a aussi fait appel à des interprètes de la diversité. Jacques Newashish, un artiste de performance qui vit en Haute-Mauricie, interprète le chef autochtone. Il y a aussi deux acteurs issus du centre de formation professionnelle en arts de la scène Les Muses, dédié à des personnes qui vivent une situation de handicap. Et des acteurs connus comme Stéphane Demers, Sylvio Archambault et Renaud Lacelle-Bourdon qui joue Billy, le personnage homosexuel, l'homosexualité étant encore considérée comme une maladie psychiatrique en 1965.

Depuis, la psychiatrie a changé, les traitements aussi, mais le sous-thème de la pièce demeure : le système formaté, la peur des marginaux, la lutte de pouvoir.

« Le droit à la liberté, pour McMurphy, c'est une question de justice, dit Mathieu Quesnel. Quand il voit le chef attaché à son siège, il demande pourquoi on l'attache. Or, on ne peut pas lui répondre, car personne n'a pensé à poser la question... »

Pour Mathieu Quesnel, il n'y a aucun doute que la pièce est toujours actuelle. « Dans l'humanité, il y a des cycles, des révolutions, puis des retours en arrière. On change les règles pour mieux en imposer de nouvelles. »

Pas fou, le comédien.

Au Rideau Vert, jusqu'au 23 avril