Ils (et elles) étudient à l'École nationale de théâtre du Canada, à Montréal. Au vu du portrait statistique de la saison théâtrale 2016-2017, ils se disent inquiets. Ils sont lucides, mais leur passion des planches reste totale. Ils se reconnaissent dans les Christian Lapointe, Sarah Berthiaume et Emmanuel Schwartz. Comme eux, ils en feront une carrière - envers et contre tous s'il le faut.

Quelle diversité?

«On espère que ça va changer, car les théâtres doivent maintenant embaucher des gens de la diversité pour obtenir certaines subventions.» - Jocelyn Pelletier

«Pourquoi s'empêche-t-on de donner des rôles à des acteurs ou actrices, peu importe leur origine ethnique? Les étudiants de la diversité ne se sentent pas bienvenus dans un théâtre où ils ne voient jamais des gens de leur origine.» - Liliane Gougeon Moisan

«Ça me dérange que l'on ne prenne pas le risque de la diversité au théâtre, au cinéma et à la télévision dans des classiques ou des créations. Il faut arrêter de faire jouer les membres des communautés dans des clichés.» - Jasmine Kamruzzaman

Où sont les femmes?

«Il y a Lorraine Pintal au TNM. Il y a eu Marie-Thérèse Fortin au Théâtre d'Aujourd'hui et Brigitte Haentjens qui ont été en place. Si elles n'ont pas eu ce réflexe, c'est bizarre.» - Jocelyn Pelletier

«L'absence des femmes m'a vraiment étonné. Ça me déçoit.» - Félix-Antoine Cantin 

«L'an dernier au TNM, les metteurs en scène, les auteurs et les têtes d'affiche étaient majoritairement des hommes. Je ne peux pas croire que personne n'a soulevé le problème. Il manque de curiosité dans les théâtres pour aller voir ce que sont les écritures de femmes en 2016.» - Liliane Gougeon Moisan

«Je ne suis pas certaine que les théâtres se posent des questions sur l'équité hommes-femmes quand ils préparent leur saison. Si on revient à Annick Lefebvre, elle a touché quelque chose [en appelant Espace Go à accorder une plus grande place aux nouvelles voix féminines], mais elle s'est attaquée aux mauvaises personnes. Il aurait dû y avoir un dialogue avant de lâcher cette bombe.» - Jasmine Kamruzzaman

Lisez le billet d'Annick Lefebvre dans Jeuhttp://www.revuejeu.org/revue/158/article/go-a-quoi



Photo André Pichette, La Presse

Félix-Antoine Cantin, étudiant en Interprétation.

Les contraintes financières vous inquiètent-elles?

«On le sait par la force des choses que ce sera difficile. Tout le monde nous le dit. Mais on va continuer pareil.» - Jocelyn Pelletier 

«Plus de la moitié des pièces comptent quatre personnages ou moins. Est-ce que ce sont les institutions qui ont des problèmes? Elles ne sont pas assez financées, elles sont mal dirigées? Au Québec, ça nous prend un plan culturel concret et identitaire et un théâtre national.» - Félix-Antoine Cantin

«Je ne sais pas quelles seront les contraintes quand je sortirai de l'École, mais j'espère pouvoir être libre de faire ce que je veux. [...] Ça m'inquiète d'être une auteure quand je vois la situation. Je pense faire ma place, mais j'ignore combien de temps cela prendra.» - Liliane Gougeon Moisan

«Je ne suis pas inquiète: en production, c'est plus facile de trouver du travail. Comme femme, ce n'est pas un problème. Il va y avoir de plus en plus de femmes, quand on regarde les cohortes d'étudiants qui s'en viennent.» - Jasmine Kamrazzuman

Photo André Pichette, La Presse

Liliane Gougeon Moisan, étudiante en Écriture dramatique.

À quoi ressemblera le théâtre de demain?

«Je le vois d'une certaine manière et j'ai envie d'articuler des choses en emmenant des gens avec moi autour de mes idées. On va être des agitateurs, mais qui va nous entendre? Les institutions doivent nous ouvrir les portes.» - Jocelyn Pelletier

«L'un des problèmes au théâtre, c'est que tout le monde vit dans une culture d'agents libres. L'idée de troupe n'existe plus. Il n'y a plus de contrat sur plusieurs années où tu peux vraiment travailler dans le temps. C'est un aspect important du théâtre qu'on a mis de côté. Il faut y revenir.» - Félix-Antoine Cantin

«Il ne faut pas attendre. On va faire nos projets et on va créer notre place. Mine de rien, dans 15 ans, ce sera à notre génération de décider.» - Liliane Gougeon Moisan

Un retour des collectifs?

«On s'épuise à faire des projets. Alors tu deviens un fonctionnaire, tu n'es plus un artiste. On se dit qu'on va faire des choses en groupe. On va prendre la petite place qu'on peut ainsi. Et ce bouillonnement underground finira par rejoindre le mainstream.» - Jocelyn Pelletier

«J'étais dans Ma(g)ma [à Espace libre récemment]. Je crois qu'il y a une volonté de retrouver de grandes gangs pour redorer l'image d'un Québec fatigué à deux sur scène.» - Félix-Antoine Cantin

«C'est une communauté artistique, l'École. J'envoie mon texte à Jocelyn en lui parlant de sa mise en scène et à Jasmine en rappelant des éclairages qu'elle a réalisés. C'est la chance d'être à l'École.»  - Liliane Gougeon Moisan

«On va assister à un retour des créations collectives. En sortant de l'École, on crée des compagnies. C'est l'élan naturel qu'on a parce que les portes sont fermées. On se côtoie, on se parle et on développe des affinités.» - Jasmine Kamrazzuman

Horizons diversité

Depuis quatre ans, l'ENT organise un stage gratuit de quatre jours en interprétation pour les jeunes de 16 à 24 ans issus de la diversité et intéressés par le théâtre. Deux stagiaires ont réussi à entrer à l'École depuis 2013, mais l'institution ne désespère pas. Les inscriptions sont de plus en plus nombreuses. Pour le prochain stage, les candidatures doivent parvenir à l'ENT avant le 31 mai 2017.

Photo André Pichette, La Presse

Jasmine Kamruzzaman, étudiante en Production.