Les quatre interprètes de Selfie s'avancent tranquillement sur scène, nous parlent des « filles-vulves » et des « garçons-graines » qui s'exhibent à qui mieux mieux sur les réseaux sociaux. Des filles et des garçons hyper narcissiques qui n'existent qu'à travers le regard des autres.

Puis, Christine Beaulieu, Frédéric Lavallée, Édith Patenaude et Philippe Cyr (qui signe aussi la mise en scène) se dévêtent devant nous sans cérémonial avant de s'agiter dans des mouvements pulsifs répétitifs qui évoquent des ébats amoureux... ou des plaisirs solitaires.

Malgré lui, le spectateur devient ce regard complice. Mais nos yeux se désensibilisent progressivement à cette nudité récurrente. Car pendant près d'une heure, les interprètes s'habillent et se déshabillent sans cesse tout en jouant leur texte.

On se croirait parfois face aux présentateurs de Naked News...

L'idée d'explorer ce narcissisme et cette obsession de la pornographie est évidemment très intéressante, mais le résultat est laborieux et souvent décousu.

Les courtes vignettes de Selfie s'enchaînent en multipliant les modes narratifs. Certaines scènes sont percutantes, d'autres s'enlisent.

Ce laboratoire théâtral contient quelques perles, comme l'histoire d'Alfred, qui se clone de manière à pouvoir se regarder faire l'amour... Ou encore l'histoire de cet amant, en peine d'amour, qui se fait enlever des côtes pour pouvoir se faire une fellation (comme l'aurait fait Marilyn Manson).

Le dispositif scénique, avec ce petit espace de jeu délimité par un écran circulaire évoquant la forme d'un oeil, s'avère ingénieux. L'interprétation des acteurs, même si elle est souvent éclipsée par leur nudité, est habile et juste.

On reconnaît le style de l'auteure Sarah Berthiaume, qui aime partir de situations bien ancrées dans le réel comme l'art érotique à Pompéi, la pornographie « gonzo » ou le Celebgate, où des photos de vedettes nues ont été piratées, pour nous faire basculer dans un récit fantastique frôlant l'absurde.

Mais l'approche didactique de Selfie n'est pas toujours appropriée et l'on perd souvent le fil rouge qui devrait lier ces courtes saynètes. À la fin, malgré la tentation de poser un regard concupiscent, on se demande si cette nudité a bien servi le propos des créateurs.

** 1/2

De Sarah Berthiaume. Mise en scène de Philippe Cyr. Au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui Jusqu'au 16 mai.