Une grande comédienne: Maude Guérin. Un classique du théâtre américain: Qui a peur de Virginia Woolf? Un incontournable de cette rentrée théâtrale d'hiver.

Maude Guérin joue. Elle aime jouer. C'est sa vie. Au moment où vous lisez ces lignes, toutefois, elle est seule. Elle affiche un air triste et concentré, marchant dans un couloir étroit entre un rôle exigeant, Martha, et la première de la pièce Qui a peur de Virginia Woolf? du dramaturge américain Edward Albee, traduite par Michel Tremblay.

Seule, mais sans peur, Maude Guérin. Elle arpente ce couloir depuis ses premières pièces au secondaire il y a 30 ans. Elle connaît ce lieu de toutes les solitudes, ce passage obligé, quoique difficile.

D'autant plus que Martha est une femme amère et frustrée, à l'opposé de la comédienne québécoise.

«Le jour où je vais toucher l'un de ces deux pôles, je vais m'en aller, je vais quitter ce métier, confie Maude Guérin. Je ne veux pas être là-dedans, c'est si facile d'y tomber. J'ai trimé dur jusqu'ici. À partir de 40 ans, j'ai été chanceuse, cela a continué et même augmenté alors que plusieurs n'ont pas cette chance. Je suis choyée. C'est l'âge des beaux rôles féminins.»

Elle est très recherchée, la petite fille de La Tuque, mais le degré d'exigence augmente avec la qualité de ses performances et avec le temps. Sa sensibilité aussi, reconnaît-elle.

«C'est un métier de communauté. Les gens ont l'impression qu'on passe notre temps dans les cocktails, mais c'est un métier extrêmement solitaire. Je ne dis pas ça pour me plaindre, mais on est seul. Après la première, quand on joue devant le vrai monde, ça change. Notre show nous appartient. On sait que le monde aime ça.»

Exister pour jouer

Le public aimera-t-il cette pièce de 1962 sur un couple en perdition, un couple sadomaso qui n'a plus de projet, qui joue pour exister? Maude Guérin, elle, existe pour jouer. Extirpée de son couloir d'avant-première, elle joue gentiment le jeu de l'entrevue.

Mais c'est sur scène, où elle «redevient petite fille», qu'elle jouera vraiment avec plaisir, sincérité, générosité. Pas simple de se donner autant, de rendre des personnages complexes, de porter des pièces sur ses épaules, souvent. Ce n'est pas simple pour Maude Guérin et Maude Guérin n'est pas simple.

«Je suis intense, avoue-t-elle. J'aime beaucoup mon métier et suis très heureuse de le faire. Mais je ne suis pas simple. Beaucoup de gens pensent que je le suis, mais on ne peut pas être acteur si on l'est.»

Complexe, complète, elle a démontré qu'elle pouvait tout jouer ou presque: Clôture de l'amour, Le chant de Sainte Carmen de la Main, Belles-soeurs sur scène, En thérapie, Mémoires vives et Toute la vérité au petit écran. Dans les trois dernières années!

«Le théâtre, j'en ai besoin, note-t-elle. J'ai de la difficulté à dire non à un bon rôle de théâtre. Je suis à l'âge, aussi, de prendre les beaux rôles parce que, plus tard, peut-être que je n'en aurai pas tant que ça.»

Qui a peur?

Adaptée au cinéma avec le couple mythique Elizabeth Taylor-Richard Burton, la pièce Qui a peur de Virginia Woolf? décrit donc le naufrage de Martha et de George (Normand D'Amour) dans une relation d'amour-haine. Lors d'une soirée bien arrosée, ils s'amusent à s'entredéchirer devant deux invités.

«Faut être malade, bipolaire quelque part pour faire de tels jeux, souligne la comédienne. C'est d'une cruauté sans nom. Tout avorte là-dedans.»

Le couple a-t-il un avenir?, se demande-t-on en lisant Albee.

«Beaucoup de couples vont se reconnaître avec le côté malsain des choses. [...] Peut-être qu'il y aura un silence insoutenable dans la salle parce que les gens se demanderont pourquoi ils sont toujours avec leur conjoint», fait la comédienne en riant.

Le metteur en scène Serge Denoncourt n'a pas voulu, toutefois, en faire un derby de démolition.

«On sent le lien, malgré tout, entre eux, raconte Maude Guérin. On y met beaucoup de ça, Normand et moi. C'est la cinquième fois qu'on fait un couple ensemble. C'est dramatique, mais c'est drôle aussi. On ne joue pas à se détester dès le départ. C'est plus intéressant comme ça.»

Cinéma, chanson

Maude Guérin aimerait tourner davantage de films. Elle prépare aussi un spectacle de chansons en raison de la piqûre attrapée à jouer Michel Tremblay en comédie musicale. Et quoi d'autre?

«Je me vois beaucoup plus comme une comique, lance-t-elle. C'est drôle comment une chose engendre l'autre dans une carrière. C'est certain que j'ai un côté très groundé, mais j'aime le rire.»

Pas simple, la Guérin, mais la Maude est toujours tout sourire. Une artiste passionnée, totale. Elle dit ne rien tenir pour acquis. Elle ne l'a jamais fait, se sait respectée et ça la rassure.

«Je trouve ça important de garder les deux pieds sur terre. Je me garde toujours une porte de sortie. Claude Poissant a dit qu'il voudrait faire quelque chose quand je serai moins occupée. C'est le fun pour une actrice de se sentir désirée. Tu n'es pas seule dans ce temps-là.»

Au Théâtre Jean-Duceppe du 18 février au 28 mars