La Grande Bibliothèque de Montréal a inauguré hier une exposition interactive retraçant le parcours exceptionnel du metteur en scène André Brassard. Un coup de chapeau qui a ému l'homme de théâtre de 68 ans, fragilisé par la maladie mais toujours aussi vif d'esprit, rencontré par La Presse dans l'une de ses rares sorties publiques.

De son fauteuil roulant qu'il ne quitte plus depuis l'AVC qui l'a terrassé en 1999, André Brassard a conservé le sourire narquois et la fébrilité de ses beaux jours, à l'époque où il enfilait les More menthol (qu'il fume toujours, me dit-on...). Cette exposition qui lui est consacrée le rend heureux, même si elle a aussi un goût «doux-amer».

«Ça me rappelle que je ne fais plus ce que j'ai toujours aimé faire», a-t-il confié à La Presse.

Autour de lui, quelques amis et artistes étaient au rendez-vous. Parmi eux: René Richard Cyr, Éric Jean, Michel Marc Bouchard, René-Daniel Dubois, Violette Chauveau et Olivier Choinière, qui a conçu la pièce centrale de l'expo, Le scrabble d'André, l'abécédaire de Brassard.

«Ce sont des mots que je lui ai lancés et à partir desquels on peut l'entendre s'exprimer, explique Olivier Choinière, qui a connu Brassard pendant sa formation à l'École nationale de théâtre. «À l'heure de nos grands enthousiasmes, moi, je m'ennuie des questions qu'il était capable de soulever...»

On entre dans ces Échos en passant devant une immense photo d'Andrée Lachapelle enfouie jusqu'au cou dans un monticule de gravier bleu... La comédienne, qui a travaillé sur de nombreuses productions avec André Brassard, y incarnait le personnage de Winnie dans Oh les beaux jours, de Samuel Beckett. C'était en 2008 à l'Espace GO.

«C'étaient les dernières gouttes du citron, indique le metteur en scène en évoquant cette ultime pièce qu'il a montée de son fauteuil roulant. Ce qui me manque le plus, avoue-t-il, c'est le plaisir de la salle de répétition et le travail avec les acteurs. Quand je travaillais sur un nouveau texte, j'avais l'impression de voyager dans une nouvelle ville...»

L'aventure des Belles-soeurs

La carrière d'André Brassard a véritablement décollé avec Les belles-soeurs de Michel Tremblay, pièce présentée au Rideau Vert en 1968. C'est à ce moment-là qu'il s'est fait remarquer. Il venait d'avoir 22 ans. Dès lors, il s'est consacré corps et âme à son travail de metteur en scène. En 40 ans, il aura monté plus de 140 spectacles!

Dans une première installation multimédia, on peut d'ailleurs écouter une douzaine de témoignages audio de ceux qui ont participé à ses projets, à commencer par Michel Tremblay lui-même.

En sélectionnant les autres pièces montées par André Brassard au fil des ans, on peut entendre les voix de Rita Lafontaine, Andrée Lachapelle, Michelle Rossignol, Élise Guilbault, Martin Faucher, Jean Fugère, Sylvain Bélanger... Pendant ces courts extraits de deux à six minutes, on peut voir un montage photographique des décors, des costumes, etc.

Des anecdotes parsèment également l'exposition. Comme celle du metteur en scène Robert Lepage qui confie avoir eu envie de faire de la mise en scène en voyant La nuit des rois, de Shakespeare, montée par André Brassard en 1975 au Trident de Québec. «C'est à ce moment-là que j'ai su que c'est ça que je voulais faire», dit-il.

Ces installations ont été conçues par Jimmy Lakatos, l'instigateur du projet, qui a créé l'exposition consacrée à Michel Tremblay également présentée à la Grande Bibliothèque.

«J'ai lu ses entretiens avec Wajdi Mouawad et la biographie de Guillaume Corbeil et ce qui m'a touché, c'était de voir que cet artiste, qui a eu un impact énorme sur la société, a été forcé de quitter le milieu qui l'a fait naître», confie Jimmy Lakatos, qui a notamment travaillé avec le Cirque du Soleil (Michael Jackson One, Delirium).

Échos de collaborateurs

Pour étoffer ces Échos, il s'est tourné vers l'historien Sylvain Schryburt, professeur au département de théâtre de l'Université d'Ottawa, qui a recueilli les témoignages que l'on peut entendre.

Sylvain Schryburt, qui a coscénarisé le documentaire Le diable après les cuisiniers consacré à André Brassard, a créé un premier espace, de 1965 à 1980, où le metteur en scène, qui a aussi monté des pièces de Genet, Marivaux et Brecht, entre autres, a surtout fait équipe avec Tremblay (En pièces détachées, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, Hosanna...).

Les deux hommes se portent bonheur, contribuant au succès de l'un et de l'autre. Mais André Brassard, qui a plus tard dirigé le Théâtre français du Centre national des arts (CNA) d'Ottawa, aurait-il eu le succès que l'on sait sans Michel Tremblay?

«Je ne pense pas, répond Sylvain Schryburt. À cause de l'impact des Belles-Soeurs. Le succès de cette pièce lui a ouvert les portes des grands théâtres montréalais alors qu'il n'avait que 22 ans! C'est ce qui a lancé sa carrière.»

«Mais la question inverse peut se poser aussi. Est-ce que Tremblay aurait eu la même carrière s'il n'avait pas rencontré un metteur en scène qui savait lire ses textes et savait les rendre avec autant d'intelligence? C'est dur à dire...»

Qu'est-ce que l'historien retient du travail d'André Brassard? «C'est vraiment lui, dans les grands théâtres montréalais, qui a défendu la parole et la dramaturgie québécoise. Tremblay a écrit dans une langue québécoise, mais c'est Brassard qui l'a fait entendre. Pour la première fois, des acteurs de générations différentes parlaient la même langue, avec le même souffle et le même rythme. On lui doit tout à fait ça.»

«Brassard s'impose également, poursuit Sylvain Schryburt, comme l'un des premiers metteurs en scène de métier. Un travail qui était jusqu'alors l'affaire des grands acteurs. Pour la première fois, un jeune qui n'avait pas cheminé comme acteur prouvait qu'il était capable de diriger des acteurs et de le faire intelligemment. C'était assez nouveau à l'époque...»

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À la Grande Bibliothèque de Montréal jusqu'au 25 octobre 2015.