Avant la retraite, présentée au Théâtre Prospero, est une pièce dense et forte qui met en scène un Gabriel Arcand impérial.

«Si j'en avais envie, je vous massacrerais.»

Dans ces quelques mots réside tout le pouvoir exercé par l'homme, le juge, le nazi sur les autres, dont ses soeurs. Le pouvoir que Rudolf Höller s'arroge à la pointe du fusil et dont il use avec un plaisir pervers.

Cette menace froide et efficace plane sur toute la pièce Avant la retraite de Thomas Bernhard. Même avant que ne survienne le personnage interprété magistralement par Gabriel Arcand au deuxième acte, on sent cette violence sourde envelopper le petit monde en décrépitude de la famille Höller.

Parfois explicite, parfois implicite, elle marque les relations entre Rudolf, Vera et Clara. Ils s'aiment et se détestent à la fois, se le disent, se détruisent parmi les ruines de leur idéal fasciste. Ils sont la fin d'un monde qui ne veut pas disparaître, un monde sans pitié.

Nous sommes après la guerre dans un endroit où les rats se terrent. Rudolf est juge. Il revêt la robe de la respectabilité tous les jours, rend justice, mais s'habille chez lui en soldat nazi et fête l'anniversaire d'Himmler tous les ans.

Il aime Vera, qui le lui rend bien. Un amour trouble, un amour trop. Femme handicapée, Clara les regarde de son fauteuil roulant, les hait sans parler.

Le décor dit la fin. La musique surannée commandée du bout des doigts par Vera plonge la pièce dans la nostalgie d'un Reich révolu, du règne de la terreur et de la haine.

Arcand impérial

Gabriel Arcand domine la distribution. Il est impérial dans son personnage de pouvoir qui résiste à la chute. Élève de la méthode Grotowski, son corps s'arque et se tord pour cacher la peur du bourreau, la retraite!

Marie-France Lambert, en Clara, dit tout avec ses regards. Elle est cet oiseau rebelle qui surveille le drame et condamne la vilenie sans parler, presque.

En Vera, Violette Chauveau défend un rôle plus ambigu, un peu faux. La comédienne récite plus qu'elle ne semble intérioriser, ce qui peut devenir agaçant. Mais telle est cette femme faible et superficielle, faussement sûre d'elle.

La mise en scène de Catherine Vidal est impeccable, slalomant entre réalisme et métaphores. Nul besoin de coups d'éclat et de gadgets pour dégager l'espace et laisser toute la place au texte et au jeu dans ce théâtre de mort lente.

Une production intense d'un texte écrit en 1987 qui a des allures de pièce contemporaine en exposant crûment les travers de la bassesse humaine, universelle et intemporelle. Avant la retraite nous parle de ce monde qui n'a de cesse d'accélérer vers sa perte. Une société égocentrique, intolérante et violente.

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Au Prospero jusqu'au 13 décembre.