Le Théâtre La Chapelle ouvre sa saison de façon originale avec Nombreux seront nos ennemis, d'après les poèmes de Geneviève Desrosiers. La production n'est pas sans défauts, mais ses propres débordements comblent amplement l'appétit pour un théâtre exigeant et différent.

Voir Nombreux seront nos ennemis, c'est assister au déploiement des forces vives du jeune théâtre québécois en marche vers une création libre et totale. Cette proposition théâtrale un peu trop longue donne, cependant, beaucoup à voir et à entendre. Il s'agit en quelque sorte d'un festin pour l'intelligence.

Les sept jeunes comédiens, sous la direction créative d'Hanna Abd El Nour, jouent, récitent, miment, dansent et effectuent un théâtre physique presque circassien. Tout ça au service de la parole de la poète et artiste visuelle Geneviève Desrosiers, disparue en 1996.

La densité de cette présentation - incluant le jeu des comédiens, les sculptures servant de décor, les projections et la musique -, découle en effet directement de la poésie de Desrosiers. Aussi bien dans son esprit que dans sa lettre, aussi bien dans ses non-dits que ses redondances, défaut quand même important dans cette présentation des plus inventives.

Donner corps aux mots

L'écriture de Geneviève Desrosiers n'a presque pas pris une ride en 20 ans. Chaque strophe contient, en son coeur, et la vie et la mort. Cette poésie est celle de la jeunesse d'alors, mais colle aussi à celle d'aujourd'hui et, probablement, de tout temps: frénésie, urgence, espoir, désillusion, angoisse, cynisme, joies foudroyantes et plongées subites vers l'absurde.

Les corps des comédiens semblent traversés par les mots et les intentions de la poète. Ils récitent sur le bout des pieds, des fesses et des mains, tête en bas. Ils agissent en somnambules, soldats de son, athlètes ou pantomimes. La fébrilité et la détresse de cette «génération sans faute» explosent sur scène. Leur agitation effraie un peu, mais pas plus que les mots de la poète qui parlaient d'aujourd'hui, déjà il y a 20 ans: «Nous serons détachés de tout y compris de nous-mêmes.»

Ces personnages sont désespérément seuls. Quand ils finissent par se rapprocher et se toucher, ils restent gauches, malhabiles. Ils ressemblent à ceux et celles que l'on voit dans les sublimes vidéos de l'artiste visuelle Jacynthe Carrier (Les eux).

La poésie de Geneviève Desrosiers n'est pas que noire. Elle avouera qu'elle ne peut s'empêcher de croire tout à fait dans les splendeurs humaines. Après tout, la «lumière est indélébile». Qu'un jeune groupe d'artisans du théâtre comprenne et assimile parfaitement sa voix, malgré les nombreuses répétitions du texte, répéterons-nous, est le plus bel hommage qu'on pouvait lui rendre.

Ainsi, il apparaîtra pertinent de lancer une invitation à René-Daniel Dubois. Il pourrait constater à La Chapelle où sont passés les Bédouins du théâtre de demain au Québec. Nomades de coeur et fiers de poésie.

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Au Théâtre La Chapelle jusqu'au 20 septembre.