Duceppe renoue avec John Logan, dont la pièce Rouge, inspirée du peintre Mark Rothko, a été présentée la saison dernière. Cette fois, l'auteur et scénariste américain a imaginé une rencontre entre les «vrais» Peter Pan et Alice (du pays des merveilles). Ceux qui ont inspiré les auteurs James Barrie et Lewis Carroll.

Cette rencontre entre Peter Llewelyn Davies et Alice Liddell Hargreaves a vraiment eu lieu.

C'était en 1932, dans une librairie de Londres. Lui avait 35 ans, elle en avait 80. Les deux icônes de la littérature jeunesse participaient au lancement d'une réédition d'Alice au pays des merveilles visant à souligner le centenaire de la naissance de son auteur Lewis Carroll. Ce jour-là, ils étaient assis côte à côte.

On ne sait pas si Peter Davies et Alice Liddell se sont parlé, mais John Logan n'a pu s'empêcher d'imaginer la conversation qu'ils auraient pu avoir.

«C'est l'histoire de deux personnes qui sont célèbres de n'avoir rien fait, résume le metteur en scène Hugo Bélanger, qui a signé une magnifique adaptation d'Alice au pays des merveilles en 2008. Les auteurs se sont un peu emparés d'eux, et ils sont devenus, malgré eux, des reliques et des curiosités. Les gens voulaient les voir...»

Dans la pièce de Logan, créée à Londres l'an dernier (avec Ben Whishaw et Judi Dench), Peter travaille comme éditeur et propose à Alice d'écrire sa biographie.

«Au fond, il a besoin de rencontrer quelqu'un qui a vécu la même chose que lui, précise Hugo Bélanger. Elle est plutôt résiliente face à cette célébrité et en vient à se réjouir du bonheur que son personnage procure aux autres. Tandis que lui estime qu'il s'agit d'un mensonge. Il voit plutôt l'imposture de l'auteur.»

C'est Carl Poliquin et Béatrice Picard qui interpréteront les personnages de Peter Davies et d'Alice Liddell. On verra également le spectre de leurs personnages de fiction, qui traversent allègrement le temps. Sébastien René et Marie-Ève Milot ont hérité de ces rôles.

«Je voulais que les vrais personnages soient confrontés à leurs doubles littéraires, insiste Hugo Bélanger. Je voulais qu'ils se voient sans cesse grâce à un jeu de miroirs qui donne parfois l'impression qu'ils sont en vitrine. Je trouvais ça intéressant de les mettre face à face avec l'image qu'ils ont justement tenté de fuir.»

Chose certaine, Lewis Carroll et James Barrie ont tous deux eu des rapports à l'enfance un peu bizarre. Le texte de John Logan en fait état.

«C'est un peu comme Michael Jackson qui avait le syndrome Peter Pan et qui a baptisé son domaine Neverland, explique Hugo Bélanger. Il avait un rapport particulier avec les enfants.»

Lewis Carroll, qui donnait des cours de mathématiques au frère aîné d'Alice, commença à prendre des photos des enfants de la famille. On dit qu'il passait beaucoup de temps avec eux. Au cours d'une balade en bateau, Alice Liddell, âgée de 10 ans, lui demanda d'écrire l'histoire qu'il venait de lui raconter. Ce fut la première version d'Alice.

La jeune femme est devenue célèbre lorsque, dans le besoin, elle a vendu le manuscrit original de Lewis Carroll, écrit à la main.

La chute de Peter Pan

Le rapport de James Barrie avec la famille de Peter Davies est tout aussi étrange.

«Barrie a rencontré la famille Davies et leurs cinq garçons dans un parc, rapporte Hugo Bélanger. Il les a aidés financièrement et il est devenu très proche des enfants. Quelques années après, le père est mort d'un cancer et Barrie est devenu le tuteur. Trois ans plus tard, leur mère est morte et Barrie est devenu leur père adoptif. Il s'est littéralement emparé de cette famille.»

James Barrie s'est inspiré des cinq garçons de la famille Davies pour écrire Peter Pan, même si le personnage principal est un portrait du frère de Peter, Michael, indique le metteur en scène. Barrie lui a tout de même donné le nom de Peter. Ce qui a dû contribuer au drame de Peter Davies, qui ne se reconnaissait même pas dans les traits du personnage auquel tout le monde l'associait.

Leur histoire s'est terminée de façon dramatique puisque les deux garçons, Michael et Peter, se sont suicidés.

Impossible de ne pas demander au metteur scène qui seraient les Peter et Alice d'aujourd'hui. «Dans un autre genre Jean-Pierre Masson avec Séraphin ou Marie Eykel avec Passe-Partout ont été pris avec un personnage, ils ont vécu quelque chose de semblable. Mais ils ont fait la paix avec ça.»

«C'est vraiment une pièce sur la résilience, conclut Hugo Bélanger. Alice et Peter ont tous deux vécu des traumatismes, mais elle s'en est sortie et lui non. Elle a accepté de porter cette image, lui non. Pendant la pièce, ils seront confrontés aux fantômes de leur passé, comme des ombres qui les suivent.»

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Au Théâtre Jean-Duceppe du 10 septembre au 18 octobre.