Comme Michel Tremblay et André Brassard ou Dominique Michel et Denise Filiatrault à l'époque, certains artistes se retrouvent sans cesse à travailler à deux sur les mêmes projets. La rentrée théâtrale d'automne nous offre quatre exemples de ces tandems créatifs dont l'union fait la force.

DANIEL BRIÈRE ET ALEXIS MARTIN: l'ingénieur et l'intello

Ils se sont connus au Conservatoire d'art dramatique voilà 30 ans déjà (Daniel a présenté Alexis lors de ses auditions d'admission.) Après, ils ont créé, mis en scène et joué ensemble. Ils ont fondé le Groupement forestier du théâtre avec Gary Boudreault. Depuis 2004, ils sont codirecteurs artistiques du Nouveau Théâtre expérimental (NTE), la compagnie la plus éclatée du paysage théâtral québécois que Robert Gravel, Jean-Pierre Ronfard, Anne-Marie Provencher et Robert Claing ont lancé en 1979.

Pas de doute, Alexis Martin et Daniel Brière sont des frères de scène.

«Il y a plein d'avantages à travailler ensemble à plusieurs projets à long terme, dit Alexis. On se fait toujours confiance. Notre complicité nous permet de nous comprendre à demi-mot. Et il n'y a pas d'autocensure. Je peux proposer des choses farfelues à Daniel sans craindre son jugement, son rejet.»

Et les inconvénients? «Le danger, c'est de trop compter l'un sur l'autre, de manquer de vigilance», répond Brière.

Les codirecteurs du NTE affirment devoir se réinventer sans cesse afin de trouver une posture artistique et de faire les choses autrement. «Aujourd'hui, plusieurs compagnies font du théâtre en marge, expérimental, souligne Alexis. Mais au NTE, nous avons conservé un esprit de collégialité. Nous essayons de résister au marketing culturel.»

Au NTE, TOUS les artistes sont responsables de l'oeuvre. «D'ailleurs, nous avons encore une politique de cachet unique pour les acteurs, peu importe leur notoriété (environ 300$ par représentation), explique Brière. Parfois, des agents m'appellent pour négocier. Ils me disent que leur interprète est très connu, qu'il joue un premier rôle... Je leur réponds: «Vous savez, au NTE, il n'y a pas de premier rôle!» »

En une phrase

Alexis Martin vu par Daniel Brière: «Un érudit, un intellectuel, un poète, un acteur fabuleux; le plus grand de sa génération. Alexis a le don de toujours nous emmener hors des sentiers battus.»

Daniel Brière vu par Alexis Martin: «Daniel est un ingénieur de la scène: arrive à mettre les textes et les personnages en lumière avec peu de moyens, mais beaucoup d'ingéniosité et de débrouillardise.»

Leur rentrée

Le pain et le vin

Après avoir revisité quatre siècles d'histoire sous l'angle de notre rapport au climat et aux cours d'eau, les deux codirecteurs du NTE livrent le dernier volet de leur trilogie: L'Histoire révélée du Canada français (1608-1998), du 23 septembre au 11 octobre, à l'Espace Libre. La pièce, de Martin, mise en scène par Brière, se penche sur la même période et expose cette fois l'évolution de nos moeurs alimentaires. «À travers les brassages ethniques et les conjonctures des guerres impériales, l'alimentation au Canada français a été le reflet d'une ambivalence certaine: désir d'autarcie et ouverture au monde, crainte de la disette et gestion de l'abondance», peut-on lire sur le site du NTE.

- Luc Boulanger

ANNE-MARIE OLIVIER ET VÉRONIQUE CÔTÉ: le sens de l'aventure

«Je ne me vois pas créer un nouveau spectacle sans Véro.» À elle seule, cette phrase de l'auteure et comédienne Anne-Marie Olivier résume bien la relation «fusionnelle» qui la lie à Véronique Côté. Les deux jeunes femmes de Québec se sont connues en 2005. Elles faisaient toutes deux partie de la distribution de Forêts de Wajdi Mouawad, dans laquelle elles ont joué pendant plusieurs années.

«On jouait des filles qui sont les meilleures amies du monde et qui doivent échanger leurs identités pour rester en vie, rappelle Anne-Marie Olivier, qui dirige aussi le Théâtre du Trident à Québec. Ce sont des scènes très intenses qui ont soudé notre amitié. Il y a toute l'aventure de création aussi, puisque le texte de Wajdi n'était pas encore écrit.»

«Ce que Wajdi nous a appris en création, poursuit la comédienne et metteure en scène Véronique Côté, c'est la sensation farouche de liberté sauvage. C'est quelque chose qui nous a allumées toutes les deux et qu'on continue de défendre, même si les modes de production auxquels nous sommes soumis ne sont pas ceux de Wajdi...»

Atomes crochus

Leur premier projet de création était Scalpée, magnifique et sombre poème théâtral d'Anne-Marie Olivier mis en scène par Véronique Côté. Les deux femmes ont vite constaté qu'elles avaient des atomes crochus en tant que créatrices. «Travailler avec Véronique, c'est précieux, car je sais qu'elle ne prendra pas de décision par panique, parce qu'on a le même sens de l'aventure, affirme Anne-Marie. Oui, on peut changer de décor quatre fois sur papier. S'il faut repousser les dates d'échéance, on le fait.»

«On a une grande amitié dans la vie aussi, complète Véronique Côté. On a un rapport très profond et fusionnel, je crois que ça joue aussi. Professionnellement, Anne-Marie est prompte et prolifique. Elle est capable d'écrire très rapidement en fonction de ce qu'on vient de discuter. On se comprend très vite; on a les mêmes sensibilités.»

Leur prochain projet, S'appartenir(e), est une lecture-performance de plusieurs auteures, dont elles font partie, qui sera présenté à Montréal le printemps prochain. Il s'agit d'une coproduction du festival du Jamais Lu, du CNA et du Théâtre du Trident. Deux autres projets de spectacles sont en gestation. La preuve que ce duo n'est pas près de se séparer.

En une phrase

Véronique Côté vue par Anne-Marie Olivier: «Défendre la beauté, le sens, la poésie, dans un monde qui a tellement soif de ça. D'une façon totale. La défendre et la porter.»

Anne-Marie Olivier, vue par Véronique Côté: «Comme le titre de notre projet sur Alfred Pellan: Jardin volcanique. Pour moi, Anne-Marie est un jardin volcanique, une force de la nature extrêmement fertile.»

Leur rentrée

La rentrée montréalaise d'Anne-Marie Olivier et Véronique Côté se fera à l'Espace libre le 19 novembre avec la présentation de la pièce Faire l'amour, qu'a écrite Anne-Marie et que mettra en scène Véronique. La pièce a été créée à Québec en avril dernier.

«C'est une immense cueillette d'histoires de cul, lance l'auteure. On voulait faire un texte de fiction, mais on s'est rendu compte que les histoires vraies étaient plus proches des sensations vécues par les gens. On leur a demandé de nous raconter leurs histoires de cul, et ils nous ont répondu avec des histoires d'amour.»

Après Scalpée, Anne-Marie Olivier avoue qu'elle cherchait un projet plus lumineux. «Un tiramisù», dit-elle, qui signifie «tire-moi vers le haut», précise l'auteure en rappelant qu'on servait le fameux dessert italien aux femmes qui venaient d'accoucher pour qu'elles se remettent sur pied...

- Jean Siag

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Anne-Marie Olivier et Véronique Côté

ANNE-MARIE CADIEUX ET BRIGITTE HAENTJENS: de faille et de lumière

La comédienne Anne-Marie Cadieux et la metteuse en scène Brigitte Haentjens partagent un imaginaire commun. Un territoire chaud, fécond, lumineux, mais aussi sauvage, périlleux et ténébreux: celui de la création théâtrale.

En 30 ans d'amitié, les deux femmes ont collaboré à une quinzaine de projets. L'actrice est l'une des égéries de la metteuse en scène. Avec Céline Bonnier, Marc Béland et Sébastien Ricard, Anne-Marie Cadieux fait partie des interprètes qu'elle a le plus souvent dirigés; des virtuoses pour lesquels Haentjens cherche toujours de nouvelles partitions.

Les deux femmes se sont connues à l'Université d'Ottawa en 1979, à l'époque de la création collective et des pièces engagées. Anne-Marie avait 16 ans à peine; Brigitte était une Parisienne dans la vingtaine, exilée à Ottawa par amour et par désir de fuite.

Malgré le temps et la distance, elles ne se sont jamais perdues de vue. Au début des années 90, elles se sont retrouvées professionnellement. La comédienne avait cessé de faire des tournées pour Robert Lepage; Haentjens venait de démissionner de son poste à la direction artistique de la Nouvelle Compagnie théâtrale (après un dur conflit avec son C.A.). La création les a aidées à passer à travers les doutes, les blessures, les remises en question.

Heiner Müller, avec Quartett, se trouve en premier sur leur (nouveau) chemin. Brigitte confie à Anne-Marie le rôle de la marquise de Merteuil, aux côtés de Marc Béland. La complicité et la confiance sont toujours là, intactes.

«Certes, il y a une confiance réciproque, mais ce n'est pas réciproque au même endroit, nuance Haentjens. C'est un rapport de regardant/regardée. Anne-Marie s'abandonne à mes désirs de création, tandis que je suis nourrie par son abandon.»

«Le désir du metteur en scène envers l'acteur est très puissant, ajoute Anne-Marie. Pas de nature sexuelle, bien qu'il s'en approche. Ça reste dans un espace artistique. Par l'intermédiaire d'une oeuvre, on vit des choses qu'on ne pourrait pas vivre ailleurs. C'est un privilège!»

Récemment, une autre comédienne a confié à Brigitte Haentjens qu'un cinéaste lui avait fait une scène terrible parce qu'elle parlait à un ancien réalisateur: «Ça m'a fait plaisir d'entendre ça, avoue Haentjens. Je le comprends tellement...»

Vous êtes jalouse des autres metteurs en scène?

«Ce n'est pas de la jalousie. Je n'aime pas voir mes égéries travailler avec les autres. O.K., je suis un peu possessive...» Il en va des couples au théâtre comme dans la vie.

En une phrase

Anne-Marie Cadieux vue par Brigitte Haentjens: «Anne-Marie est vorace! Dans le sens qu'elle a un grand appétit de création, de rôles, de mots, de matière, etc.»

Brigitte Haentjens vue par Anne-Marie Cadieux: «Brigitte, c'est une pulsion de vie incroyable! Moi, je suis plus sombre. J'ai beaucoup d'admiration pour elle. Elle va de l'avant, toujours libre, avec intensité, passion et intelligence.»

Leur rentrée

Molly Bloom d'après James Joyce au CNA

Seule sur scène, Anne-Marie Cadieux est Molly Bloom, du 24 au 27 septembre, au Théâtre français du Centre national des arts à Ottawa. Dans ce plus récent opus pour «sa» comédienne, Brigitte Haentjens poursuit son travail sur l'intime et le féminin. Elle a mis en scène le dernier chapitre d'Ulysse «dans un espace qui laisse place à l'imaginaire» de James Joyce, et dans une traduction de Jean-Marc Dalpé. La critique a salué l'interprétation de Cadieux qui a joué cette partition, en mai dernier, à l'Espace GO.

- Luc Boulanger

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Brigitte Haentjens et Anne-Marie Cadieux

MANI SOLEYMANLOU ET EMMANUEL SCHWARTZ: le roc et le rêveur

Tout a commencé en 2004 par un rap improvisé dans l'appartement d'un ami commun.

Emmanuel Schwartz venait de terminer sa formation en jeu à Sainte-Thérèse, tandis que Mani Soleymanlou était en première année à l'École nationale de théâtre. Emmanuel se souvient également d'avoir vu Mani dans son spectacle de finissants (L'Orestie, d'Eschyle) en 2008. «Je me souviens d'avoir été impressionné par sa performance», dit-il.

Mais c'est la metteure en scène Alice Ronfard - enseignante à l'École nationale - qui a été au coeur de la rencontre professionnelle des deux auteurs et comédiens. «J'étais déjà assez proche d'Alice, raconte Emmanuel Schwartz, puisqu'elle a relu mes premiers textes qui composaient Chroniques. Un jour, elle m'a parlé de son coup de foudre artistique pour Mani, qui s'était lui aussi rapproché d'elle pendant sa formation à l'École.»

C'est ainsi que Mani Soleymanlou a commencé à jouer dans les Chroniques d'Emmanuel (notamment dans Max, Clichy et Nathan), produites par Wajdi Mouawad, avec qui Schwartz a longuement collaboré - il a notamment joué dans ses pièces Littoral et Forêts. Quand Mani s'est mis à écrire Deux, il a tout de suite pensé à Manu.

«On voulait continuer à créer ensemble, nous dit Mani. Quand on travaille avec Emmanuel, on ne travaille pas juste avec un acteur ou un metteur en scène, mais avec un artiste qui connaît très, très bien le théâtre. Pour moi, c'était très intéressant.»

«Moi, ce qui m'a toujours impressionné et qui continue de m'impressionner, rétorque Emmanuel, c'est la force brute de cette pièce d'homme. Je l'avais constaté dans son jeu, mais, peu importe le style de théâtre dans lequel on s'inscrit, Mani est toujours aussi fort et présent. C'est une force maîtrisée qui est très créative.»

Chose certaine, les deux hommes âgés de 32 ans n'ont pas fini de travailler ensemble. La pièce Ils étaient quatre, que Mani Soleymanlou mettra en scène à La Licorne en mars prochain, est le premier volet d'une nouvelle trilogie qui sera suivie de 5 à 7 et de 8. «On raconte une soirée qu'on a passée ensemble: Éric Bruneau, Guillaume Cyr, Jean-Moïse Martin et moi, dit Mani Soleymanlou. Dans le deuxième volet, quatre filles racontent la soirée de leur point de vue, et dans le troisième, c'est la soirée en question, qui se passe chez Emmanuel.»

Mani et Manu, deux anglophiles notoires, aimeraient également faire une virée dans la ville en faillite de Detroit, pour y camper l'histoire d'un transgenre (qu'interpréterait Mani). Un texte qu'Emmanuel compte écrire.

En une phrase

Emmanuel Schwartz vu par Mani Soleymanlou: «Manu? A triple threat! Six pieds trois pouces et demi d'homme de théâtre redoutable! Acteur hors pair, auteur unique, être humain formidable.»

Mani Soleymanlou vu par Emmanuel Schwartz: «Haïku de Mani: regard acéré, sa force-démesure, le talent fou.»

Leur rentrée

Mani Soleymanlou a amorcé sa rentrée la semaine dernière avec Opening Night au Quat'Sous.

À partir du 30 septembre, il reprendra sa trilogie Un, Deux et Trois, créée le printemps dernier au FTA, au Théâtre d'Aujourd'hui. L'auteur des trois pièces aborde le thème de l'identité à travers son propre parcours qui l'a mené de Téhéran à Montréal. Il partage la scène avec Emmanuel Schwartz dans Deux et Trois. Dans ce dernier volet, 41 comédiens sont également sur scène.

De son côté, Emmanuel Schwartz sera de la distribution de Nombreux seront nos ennemis, qui puise dans l'oeuvre poétique posthume de Geneviève Desrosiers, au Théâtre La Chapelle du 16 au 20 septembre.

Enfin, les deux comédiens font partie de la distribution de Phèdre, mise en scène par Jérémie Niel, qui sera présentée du 3 au 5 décembre à l'Usine C et au CNA d'Ottawa.

- Jean Siag

Photo: André Pichette, La Presse

Mani Soleymanlou et Emmanuel Schwartz