Interprète puissant au regard hypersensible, Emmanuel Schwartz a créé ses propres pièces, mais aussi joué pour Wajdi Mouawad et Dave St-Pierre. Dès mardi, le comédien retourne au Théâtre d'Aujourd'hui dans un solo, mis en scène par Alexia Bürger, où il incarne une douzaine de personnages tous plus marginaux les uns que les autres.

Longtemps, l'acteur Emmanuel Schwartz s'est un peu senti comme Holden Caulfield, l'adolescent méfiant du roman culte de Salinger, L'attrape-coeurs, qui erre dans les rues de New York. Comme Caulfield, il caressait des idées romantiques dans un monde trop occupé pour avoir le luxe de rêver. Il aurait voulu lui aussi attraper des coeurs dans un champ de seigle, afin d'étreindre la poésie des êtres et la beauté des choses.

Mais il se heurtait toujours à un mur. Celui du réel. Cet acteur de génie, qui, à 32 ans, ressemble encore à un adolescent ayant grandi trop vite (il mesure six pieds trois pouces), s'imaginait changer le facteur réalité avec une création présentée au théâtre La Chapelle.

Alors, quand Alexia Bürger lui a proposé de signer la mise en scène d'un spectacle solo autour d'un personnage marginal, la figure de Caulfield est apparue tout de suite. Hélas, la succession de Salinger ferme la porte à toute adaptation des oeuvres de l'auteur américain. Les droits n'étaient pas disponibles.

«Puis, Alexia est tombée par hasard sur un article à propos d'Alfred McMoore, raconte Schwartz. Un personnage marginal, mais pas fictif, celui-là. Un artiste afro-américain, diagnostiqué comme schizophrène, qui est mort en 2009.»

Schwartz et Bürger sont donc partis à Akron, en Ohio, sur les traces d'Alfred McMoore et de ses étranges compatriotes. Là encore, ils se sont heurtés à des portes closes: sa famille et ses proches refusaient toute collaboration.

«Alfred McMoore reste le point de départ de la pièce, explique Emmanuel Schwartz. Mais après notre voyage à Akron, nous sommes tombés sur un fait divers qui s'est déroulé en octobre 2011... à quelques kilomètres de là. Avant de se suicider, le propriétaire d'un zoo privé en Ohio avait ouvert toutes les cages pour libérer les animaux. Une soixantaine de bêtes sauvages se sont donc échappées, à 50 kilomètres au nord d'Akron!»

L'enfant sauvage

La pièce qui résulte de cette longue gestation conserve le titre Alfred, mais elle gravite autour du personnage de Clyde Redding, garde de sécurité d'un zoo qui va libérer les bêtes. Son geste va déclencher l'état d'alerte général dans la région envahie par des animaux sauvages et fera réagir une pléiade de personnages, tous défendus par Schwartz.

«On s'interroge sur ce qui retient les hommes prisonniers malgré leur apparente liberté», dit l'acteur qui voit dans cette prémisse une fable de La Fontaine ou une épopée qui illustre le côté sauvage et apocalyptique de la civilisation américaine. Et le sentiment d'enfermement que peut ressentir un individu par rapport à sa société.

«On joue avec l'idée que l'homme fait sa propre catastrophe en interprétant les événements selon ses perceptions, dit le comédien. Clyde porte le poids de l'Amérique sur ses épaules. Il est écrasé par la quantité d'options qu'il a devant lui, car il n'arrive pas à prendre une décision.»

Une saison dans la vie d'Emmanuel

Outre Alfred, ce sera un gros printemps pour le comédien. «Je vais participer à la création de deux shows au Festival TransAmériques (FTA). D'abord, Phèdre de l'auteur et metteur en scène Jérémie Niel, avec Marie Brassard, Benoît Lachambre et Mani Soleymanlou. Je fais aussi partie de Trois, la nouvelle création de Mani sur la crise identitaire au Québec. Le spectacle dure quatre heures, car il va inclure les reprises d'Un et de Deux

Deux jours après Trois, le 7 juin, Schwartz va reprendre Détruire, nous allons de Dave St-Pierre et Philippe Boutin, dans le cadre du OFFFTA, avec Marie-France Marcotte et 38 autres comédiens et danseurs qui envahiront le terrain de football du Centre sportif Édouard-Montpetit de Longueuil. Le spectacle-événement est décrit comme un «Colisée contemporain, où se vivra, le temps d'un soir, une histoire d'amour vouée à une fin tragique».

«Plus un projet est fou et démesuré, plus il m'attire, conclut Schwartz. J'aime repousser mes limites. Or, aujourd'hui, je me sens plus pertinent quand je me mets au service d'un artiste, d'un projet ou d'une histoire qui n'est pas de moi. C'est plus intéressant que de parler de ma douleur d'adolescent blessé...»

Il y a toujours plus marginal que soi.

À la salle Jean-Claude-Germain du Théâtre d'Aujourd'hui, du 15 avril au 4 mai.