«Une femme vide devant une télévision vide dans une chambre vide qui sent pas bon. C'est-tu ça qu'on appelle une vie bien remplie?», nous demande Albertine de sa petite chambre de CHSLD, juste avant que le rideau tombe.

Tout le destin tragique du personnage créé par Michel Tremblay en 1984 tient dans cette phrase.

L'aboutissement d'une vie de misère avec bien peu d'éclaircies. La vérité est qu'il y a beaucoup de tristesse et de solitude dans ce bilan lucide que fait Albertine à l'hiver de sa vie. Seule face aux drames qu'elle a vécus, envahie par un sentiment de culpabilité qui la hante.

Laissez tomber les parallèles avec l'histoire du Québec, c'est la parole de cette femme dépourvue de moyens qui est bouleversante.

Monique Miller, dans le rôle d'Albertine à 70 ans, est remarquable. Sans doute grâce à ses 60 ans de métier, cette grande actrice est capable de s'effacer derrière ses personnages comme nulle autre. Dans ce cas précis, elle incarne parfaitement cette femme forte mais fragilisée, qui constate l'échec de sa révolte.

Des Albertine dépareillées

On le dit et le redit, mais c'est vrai: Albertine, en cinq temps est un texte brillant, tant sur le plan de sa construction dramatique que de son contenu. Le dramaturge donnant ici une voix introspective à une femme qui, face à sa mort prochaine, cherche un sens à sa vie.

Sur le plan de la mise en scène, c'est une autre histoire. D'abord, on peut parler d'un faux départ, puisque rien, durant les premières minutes de la pièce, ne nous indique que les cinq interprètes face à nous sont un seul et unique personnage à différents âges de sa vie. C'est pourtant le titre même de la pièce!

Autre point faible: les cinq interprètes d'Albertine sont tellement différentes qu'on peine à les relier entre elles. On ne parle pas ici de traits physiques, mais de caractère. La metteure en scène, Lorraine Pintal, aurait eu intérêt à harmoniser les tons des comédiennes afin de rendre crédible la parenté de ces cinq Albertine.

L'Albertine enragée de 40 ans, interprétée par Eva Daigle, contribue à cette distorsion. Ses hurlements et sa colère nous donnaient l'impression d'être face à un tout autre personnage. Émilie Bibeau et Marie Tifo se sont elles aussi créé une Albertine sur mesure, alors que le but était de créer à elles cinq un seul personnage.

Seule Lise Castonguay, dans le rôle d'Albertine en dépression à 60 ans, parvient à créer l'effet désiré. La comédienne de Québec est d'une justesse impressionnante. Comme dans ses échanges avec l'Albertine de 70 ans (Monique Miller), qui comptent parmi les meilleurs moments d'Albertine, en cinq temps.

Dans le rôle difficile de Madeleine (la soeur d'Albertine), Lorraine Côté s'en tire fort bien. La comédienne dialogue habilement avec toutes les Albertine. Son bonheur (relatif) nous renvoie systématiquement à la douleur de sa soeur et tempère le discours véhément d'Albertine à l'égard des hommes.

La scénographie de l'artiste visuel Michel Goulet crée des espaces de jeu intéressants. Mais les complaintes musicales durant les scènes les plus dramatiques étaient-elles vraiment nécessaires? La musique de Jorane (jolie en soi) crée des ambiances sirupeuses, qui, malheureusement, noient le drame d'Albertine.

À la fin, et avec ces réserves, on se retrouve quand même face à un texte majeur, qui parle de petites gens vulnérables qu'on préfère ignorer, mais qui existent bel et bien, encore aujourd'hui. C'est toujours ça de pris.