Comment transforme-t-on en pièce de théâtre un premier roman écrit par une jeune femme intense de 23 ans qui sait qu'elle va mourir? Comment une oeuvre littéraire intime et fiévreuse se transmute-t-elle en oeuvre dramatique chorale et flamboyante? Tout ça sans sombrer dans le macabre, le mièvre ou le voyeurisme... Ce fascinant processus de transformation, nous y avons assisté depuis septembre dernier au Quat'Sous. Bienvenue à la «création» de Testament, pièce inspirée du roman de Vickie Gendreau.

«Ça, c'était dans l'ancienne mise en scène, non?», lance la comédienne Jade-Mariuka Robitaille, qui incarne Vickie dans la pièce. L'ancienne mouture à laquelle Jade fait référence, par un lundi soir de janvier glacial dans la salle de répétition du Quat'Sous, c'est l'une des trois mises en scène - minimum - qu'a connues le texte de Testament!

Des mises en scène toujours nées au cours d'ateliers et de recherches menées par le metteur en scène Eric Jean, mais aussi par toute la troupe de jeunes comédiens. Fin novembre 2013, dans une salle de répétition prêtée par le Théâtre d'Aujourd'hui, ils ont ainsi improvisé - à partir de quelques phrases du texte répétées sans souci d'exactitude, d'accessoires de toutes sortes, de suggestions qu'allait leur souffler à l'oreille le metteur en scène, de trames sonores très expressives proposées par le musicien Vincent Letellier, qui «improvise» depuis huit ans avec Eric Jean afin de «provoquer» quelque chose sur scène.

Combien de fois le scénographe Pierre-Étienne Locas s'est-il tourné vers le metteur en scène, lui suggérant d'un regard d'apporter du rouge à lèvres ou un tas de feuilles mortes aux comédiens pour «voir» ce que cela provoquerait? Quand des millions de confettis, d'étoiles de papier, de paillettes sont soufflés partout par un ventilateur, Audrey Lamontagne, l'assistante metteure en scène, lancera, pince-sans-rire: «Je vais chercher des balais.»

On va trouver des paillettes dans le moindre recoin, ce soir-là... Mais aussi des tas d'idées. C'est parfois le comédien Hubert Lemire (interprète de Mikka, l'amant) qui propose une façon de faire tourner la civière; parfois Jean-Philippe Perras (Stanislas, le dernier amour de Vickie) qui lance un commentaire. Ou Dominique Pétin (la mère de Vickie, sans doute la comédienne la plus connue de la distribution avec Marilyn Castonguay) qui esquisse quelques gestes, s'interroge à voix haute, reprend autrement la scène.

C'est une façon de faire à la fois très physique et très instinctive que chérit Eric Jean depuis sa toute première création, Une livre de chair, présentée en avril 1999 à la salle Fred-Barry. Une méthode qu'il avait aussi utilisée pour la pièce Hippocampe, en 2002, pièce que Vickie Gendreau avait vue à sa reprise en 2009. C'est parce que l'auteure avait aimé Hippocampe qu'elle voulait qu'Eric Jean «monte» son roman.

Tout un party

Hormis Dominique Pétin, toute la distribution est constituée de jeunes comédiens qui ont l'âge de leur personnage. Jade-Mariuka elle-même (Vickie) a eu 24 ans en janvier, l'âge auquel Vickie est morte. Et, tout comme dans la vie de Vickie, il y a eu plusieurs joyeux partys pour célébrer cet anniversaire, comprend-on!

Il y a quelque chose du party, justement, dans ce Testament porté à la scène: oui, des rires, des bouteilles, beaucoup de musique - tous les comédiens jouent des instruments et plusieurs morceaux viennent ponctuer la pièce - mais aussi des rires parfois hystériques, des pleurs incontrôlables, des délires collectifs, des replis sur soi, de la solitude au milieu de la multitude... Et puis, des envolées poétiques, des moments cauchemardesques, des harangues trash, des confidences crues, des mots déchirants. Bref, un party comme la majorité des gens de 20 ans en font, parce que c'est une activité en soi quand on est jeune.

C'est l'une des choses qui frappent quand on «voit» Testament plutôt que de le lire: c'est une histoire de très jeunes gens, d'amis qui se tiennent quasiment lieu de famille, d'amours difficiles qui occupent toute la place parce que personne n'a vraiment d'obligations professionnelles ou familiales. Sauf Vickie, qui n'a pas le temps de vieillir et qui s'est donné l'obligation d'écrire.

Sur scène, on n'a pas affaire à la Vickie de chair ni même à celle du roman, mais à celle imaginée par Eric Jean et les comédiens, où la blonde Jade incarne la brune Vickie. «On a le même âge, explique Jade-Mariuka Robitaille, on est de la même génération, on a même le même cercle d'amis au sens large. C'était déjà beaucoup... Alors, j'ai travaillé pour me dissocier d'elle, de son histoire. Ou plutôt pour la rapprocher de ce que je suis. Ma Vickie, c'est Jade avec les mots de Vickie.»

Porte-voix

Vickie Gendreau avait donné carte blanche au metteur en scène. La seule chose qu'elle lui avait demandé, c'est qu'il y ait un porte-voix parmi les accessoires. Il y en a un et il porte la voix d'une génération, au moins autant que celle d'une jeune écrivaine: «C'est l'auteure, la poète, la dramaturge que je veux faire entendre dans cette pièce, explique le metteur en scène. Vickie voulait faire une pièce de théâtre au départ. Elle ne s'en sentait pas capable, alors j'ai essayé d'extraire la pièce de son roman.»

«Je suis allé dernièrement à Rouyn-Noranda, reprend le metteur en scène, et je me suis rendu au bar où Vickie était danseuse nue. C'était un étrange pèlerinage... Mais ce n'est pas ça, Testament. Ce n'est ni un hommage ni un documentaire sur Vickie. C'est une pièce de théâtre qui raconte l'histoire d'un personnage qui s'appelle Vickie. C'est une oeuvre de fiction et une oeuvre de poète.»

Hommage en pots Mason

Depuis samedi, ceux qui le veulent peuvent rendre un hommage inédit à Vickie Gendreau. S'inspirant d'une photo où l'auteure apparaît entourée de pots Mason remplis d'objets qui lui étaient chers (perles, plumes, etc.), le Quat'Sous nous invite à apporter au théâtre un pot Mason rempli d'objets qui nous font penser à elle, avec notre prénom et l'année de notre naissance inscrits sur le couvercle. Cette installation s'agrandira à mesure que les représentations de Testament se poursuivront, tel un cénotaphe flamboyant.

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Au Théâtre de Quat'Sous du 10 au 30 mars.

Photo: Olivier Pontbriand, archives La Presse

Vickie Gendreau s'est éteinte le 11 mai 2013 des suites d'une tumeur cérébrale.