À 12 ans, lorsque René Richard Cyr a vu sa première pièce au Rideau Vert, ce fut l'éveil de sa vocation théâtrale: «Quelque chose comme la Sainte Vierge qui apparaît à Paul Claudel»! Depuis, il transpose sur scène la parole des dramaturges d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui. Avec Belles-soeurs en tournée, le spectacle musical Le chant de sainte Carmen de la Main et la production du Balcon, en 2013, le metteur en scène persiste et demeure le meilleur passeur du théâtre au Québec.

Q: Cette année, vous avez dirigé deux importantes productions au TNM: Le chant de sainte Carmen... de Michel Tremblay et Le balcon de Jean Genet. Malgré des théâtralités très différentes, peut-on oser des rapprochements entre Tremblay et Genet?

R: Ce sont deux auteurs qui se sont attachés à mettre en scène les rejetés et les marginaux. Le point principal qui pourrait les relier, c'est le profond désir qu'ont souvent leurs personnages d'être quelqu'un d'autre. La notion du déguisement, voire de fétichisme, est souvent présente dans leurs oeuvres. Mais Le balcon et Sainte Carmen de la Main sont des oeuvres difficilement comparables.

Q: Voyez-vous le rôle du metteur en scène comme celui d'un passeur entre l'auteur et le public?

R: Il existe un triangle formé à ses extrémités d'un auteur, d'un acteur et d'un spectateur. Le metteur en scène est au centre de ce triangle et doit s'assurer que les lignes qui relient ces trois points soient les plus claires et les plus directes. Or, il pourrait n'y avoir personne au centre que le triangle existerait quand même.

Q: Quels sont les principaux défis d'un metteur en scène en abordant l'oeuvre d'un auteur?

R: La part de respect devant l'oeuvre et la part d'irrespect pour la faire sienne avec l'équipe de création. Et surtout, je crois savoir nommer la part de nécessité intérieure et les raisons profondes qui vont porter la joie du travail, de l'élaboration, jusqu'au soir de la dernière représentation.

Q: Quels sont les pièges à éviter quand on revisite des textes classiques?

R: Rendre l'oeuvre opaque en y imposant, par souci d'être «absolument» novateur, une lecture qui porte ombrage à la clarté d'une parole. Et son contraire: engoncer l'oeuvre dans une plate perspective muséale sans dialogue avec le monde d'aujourd'hui.

Q: Vous naviguez sans cesse entre répertoire et création (vous avez dirigé le Théâtre d'Aujourd'hui et codirigé le Théâtre Petit à Petit). Est-ce que votre travail est différent, selon que vous montiez une oeuvre connue du répertoire ou une création d'un jeune auteur québécois?

R: Le travail est le même, c'est la responsabilité qui diffère. Faire naître une parole, en être l'accoucheur est un mandat plus lourd sur les épaules, car il ne s'agit pas de «traduire» une pièce pour aujourd'hui. Il s'agit de la porter avec le plus d'humilité et de clarté (je ne parle pas d'efficacité, mais bien de clarté) pour que l'auteur (en premier) en soit content, et que la pièce existe et rejoigne son public.

Ayant principalement oeuvré en création, j'avoue que si je ne réussis pas à nommer ce que telle ou telle pièce du répertoire dit au public d'aujourd'hui, je ne peux pas m'atteler à en faire la mise en scène.

Q: Votre vision d'une oeuvre change-t-elle au fur et à mesure que vous la décortiquez avec les comédiens et les concepteurs pendant les répétitions? Ou bien elle demeure la même que vous aviez au début du processus?

R: Je crois qu'un bon metteur en scène arrive en répétition extraordinairement bien préparé... et aussi, prêt à tout changer! Il serait bien triste que ma vision personnelle ne se modifie pas au contact des concepteurs et des comédiens, car le théâtre est un travail d'équipe; c'est ce qui fait sa force et sa beauté.

Q: Le spectacle vivant est en mutation. Avec les nouvelles technologies, le théâtre peut sembler anachronique. Quelle est l'importance de la parole sur scène aujourd'hui?

R: Personnellement, je me targue de faire des spectacles sans technologie, car je crois qu'une simple lumière qui s'allume dans le noir et quelqu'un qui se lève pour parler, dire, nommer, partager est un acte profondément humain et éternel. La machine m'intéresse moins que le coeur qui bat, la voix qui flanche et le corps qui tremble. Pour moi, le sens de la parole est le plus formidable rassembleur et, encore, le plus révolutionnaire.

Q: Sur un plan plus personnel, 2013 a été une année où vous avez connu des problèmes de santé. Cela a-t-il changé votre rapport au travail?

R: Je dois avouer que j'ai eu peur de ne pas me rendre au bout du Chant de sainte Carmen..., mais j'étais complètement rétabli pour aborder Le balcon. Je me suis surpris à être plus calme et plus patient.

Nous vivons notre métier avec passion comme si notre vie en dépendait. Mes problèmes de santé m'ont permis de relativiser les choses, mais le désir et la nécessité de l'expression théâtrale font partie de mon ADN.

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Le chant de sainte Carmen de la Main, en tournée au Québec dès le 10 janvier; en supplémentaires au Théâtre Maisonneuve de la PDA, du 23 au 25 avril.

Les innocentes, au Rideau Vert du 12 mai au 7 juin.