Il y avait unanimité: la formule des traditionnels Contes urbains avait besoin d'être renouvelée. Même les créateurs des Contes, Yvan Bienvenue et Stéphane Jacques, en convenaient. Les six jeunes auteurs de cette nouvelle cuvée avaient donc pour mission de rallumer la flamme. Et c'est exactement ce qu'ils ont fait!

Durant près de trois heures, qui filent à la vitesse de l'éclair (ce qui n'est pas peu dire), Julie-Anne Ranger-Beauregard, Martin Bellemare, Rébecca Déraspe, Olivier Sylvestre, Sébastien David et Annick Lefebvre nous font entrer avec délice dans leurs univers à la fois surréaliste, absurde, comique et dramatique.

Les intermèdes musicaux de Viviane Audet et Robin-Joël Cool - ceux-là mêmes qui ont composé la musique du film Camion, de Rafaël Ouellet - étaient à la fois festifs et espiègles juste ce qu'il faut. On aurait même aimé les entendre, discrètement s'entend, pendant les performances. Leur présence s'est avérée essentielle.

Six contes donc, fort différents les uns des autres, avec un thème récurrent toutefois (du moins dans la première partie): celui de la naissance ou de l'enfance. Défendus par de vaillants comédiens, qui offrent tous, seuls dans l'arène, des performances solos remarquables.

La soirée démarre avec l'histoire invraisemblable de Madame Renard.

Pour introduire ce conte de Julie-Anne Ranger-Beauregard, Rachel Graton entre sur scène en lançant: «J'ai 365 ans et je suis ta mère.» La comédienne nous fait ici le récit épique de sa relation amoureuse avec un renard éternel, qui peine à lui transmettre la semence de la vie...

Hubert Proulx, vu récemment dans Le chant de meu de Robin Aubert, crée un véritable dialogue avec le public avec ce «faux» conte de Martin Bellemare. D'un naturel désarmant, il nous raconte le «moment heureux» qu'il a vécu à 16 ans. Un souvenir provoqué par sa rencontre avec le fantôme de son père.

Catherine Trudeau casse la baraque

La performance de Catherine Trudeau, dans Votre crucifixion, est assurément le point culminant de la soirée. Avec un talent de conteuse insoupçonné, la comédienne nous entraîne avec ravissement dans sa vie familiale avec son petit «Jésus». Un texte percutant et drôle de Rébecca Déraspe sur le regard que les autres portent sur notre rôle de parent.

Les deux contes d'Olivier Sylvestre et de Sébastien David s'intéressent au destin de deux couples homosexuels. Dans Le No Pain réveillon, Hubert Lemire révèle «enfin» son amour à son colocataire. Tandis que dans Ruby pleine de marde, Mathieu Gosselin fait le récit «coup de poing» d'une fillette homophobe.

Le dernier conte, celui d'Annick Lefebvre, est le plus politique et sans doute le plus sombre. Dans Ce qui dépasse, Marie-Ève Milot interprète avec beaucoup de coeur son personnage un peu «casseux de party», qui regrette notre amnésie collective durant les Fêtes. «Il faut réapprendre à se souvenir», dit son personnage.

Elle nous rappelle ce qu'on aurait sans doute préféré oublier dans la dernière année. Que ce soit la solitude des personnes âgées ou le combat de Vicky Gendreau, emportée par un cancer du cerveau. Dans un des moments les plus émouvants du spectacle, elle nomme toutes les victimes du déraillement du train de Lac-Mégantic.

Bref, au-delà du vertige que vivent les comédiens dans ce périlleux exercice de scène, et de la belle fantaisie de ces histoires «extraordinaires», cette cuvée des Contes urbains a le mérite d'aborder des thèmes actuels qui nous touchent directement. On en ressort habité par des questions qui n'ont absolument rien d'irréel.

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Jusqu'au 21 décembre à La Licorne.