«Au théâtre, il n'y a rien à comprendre, mais tout à sentir», a dit Louis Jouvet. En reprenant Oleanna de David Mamet, un troublant huis clos à deux personnages - un professeur universitaire et son étudiante -, l'acteur et metteur en scène Vincent Côté suit les traces de Jouvet. Questionnaire autour d'une pièce coup de poing qui traite du pouvoir et des dérives réactionnaires de nos sociétés.

Q: Pourquoi avoir choisi de produire Oleanna plutôt qu'une autre pièce de David Mamet?

R: Ça faisait longtemps que je voulais monter et jouer cette pièce. Oleanna est une pièce cryptique. On doit prendre des décisions chaque seconde. L'originalité est surtout dans la démarche. Olivia [Palacci] et moi avons fait la mise en scène ensemble et nous jouons la pièce aussi. Les spectateurs sont très près de nous, tout autour de la scène.

Jamais dans ma vie de comédien [ou de metteur en scène], je ne me suis posé autant de questions avec un partenaire de scène. C'est vraiment excitant. Aussi, c'est très intime comme projet. Olivia a été mon étudiante alors qu'elle faisait partie de la troupe étudiante du collège Brébeuf. Elle est devenue une amie. Ce niveau d'intimité et ce passé «prof-élève» enrichissent la représentation.

Q: Vous signez aussi la traduction. La langue de Mamet est unique, très directe. Pourquoi ne pas avoir utilisé l'une des traductions existantes?

R: J'étais insatisfait des traductions existantes. Je tenais à ce que la pièce soit en québécois Je voulais qu'on ait l'impression qu'on improvise en parlant [bref, que ça sonne comme en américain!]. David Mamet écrit presque sans indications de mise en scène. Toutes les hésitations verbales sont écrites. Le texte est une partition ultra-précise. On a l'impression parfois de quelque chose de brut, mais c'est voulu.

Q: Lorsque la pièce a été présentée à New York, en 1992, elle a suscité la controverse. Des gens ont accusé l'auteur de misogynie. Qu'en pensez-vous?

R: J'ai lu pas mal toutes les pièces de Mamet et tous ses livres théoriques sur le théâtre. À mon avis, Mamet n'est pas misogyne, mais il aime le scandale. Il aime être baveux. Parfois, je lance certains de ses livres en criant que c'est stupide! Et parfois, je le trouve extraordinaire.

La pièce peut être interprétée d'une multitude de façons. Olivia et moi avons opté pour des choix nuancés qui équilibrent le plus possible le degré de tort des deux personnages. Notre Oleanna va vous mêler.

Q: David Mamet dénonce entre autres la rectitude politique qui régnait sur les campus américains au début des années 90. Croyez-vous que la société actuelle est toujours politically correct?

R: Oui, je crois que notre société et nos rapports aux autres souffrent toujours de ce cancer. Par contre, le politically incorrect ne devrait pas être l'excuse à la médiocrité et la facilité.

Q: Comment expliquez-vous l'attitude terriblement vindicative de Carol avec son professeur?

R: Ah! La question à 1000 $... Olivia et moi savons pourquoi Carol agit comme ça. Mais nous ne le dirons jamais! La pièce est écrite comme ça. Il faut choisir ses propres réponses. Oleanna est une machine manipulatrice qui force les spectateurs à mettre leurs préjugés dans la pièce. Mamet ne dit rien directement qui permet de répondre à cette question. Pour nous, Carol et le professeur sont simplement humains.

Q: Leur conflit illustre les dérives du pouvoir, mais aussi de l'incapacité de communiquer, d'écouter, de dialoguer. Leur rencontre ressemble à un dialogue de sourds...

R: La pièce traite de plusieurs choses. C'est pourquoi je l'aime. Par contre, ce n'est pas tant un dialogue de sourds. Le professeur et Carol ne sont pas seulement deux ennemis idéologiques: ils sont forcés à le devenir au fil de la pièce. Ce sont deux personnages qui vont se faire du mal et qui vont échouer dans toutes les sphères dans lesquelles ils croient ou pourraient croire.

Q: Y a-t-il des parallèles à faire avec la difficulté de débattre dans la société actuelle, cette polarisation des opinions qui divise de plus en plus les Québécois, par exemple?

R: Pas seulement au Québec. Nous vivons dans un monde de communication exacerbée, mais notre pensée est moins rigoureuse et plus réactive. Il faut toujours prendre position, toujours réagir. Tout débat actuellement est difficile. Le contenu détaillé et les nuances sont évacués.

Je pense aussi que les médias formatent notre façon de penser. Tout le monde est bombardé d'informations parcellaires et forcé d'avoir une position sur quelque chose... qu'il ne connaît pas en profondeur. C'est désolant et c'est universel, j'en ai bien peur.

Q: La nature humaine a-t-elle tant horreur du vide au point d'avoir besoin de conflits pour exister et étancher sa soif de dominer les autres?

R: Certains disent que les conflits rendent vivants. Je ne sais pas... J'ai tendance à penser que c'est aussi en voulant rejoindre le mystère qu'est l'autre, qu'on se fait souvent mutuellement du mal aussi. Qu'est-ce que l'abus? La ligne peut être mince. Ce qui est clair, c'est que nous avons besoin de catharsis afin de libérer nos émotions. Oleanna fait cela.

> Au Théâtre Prospero (salle principale), du 15 au 26 octobre.

David Mamet en cinq titres

> American Buffalo (création: 1975)

> Glengarry Glen Ross (création: 1983)

> Speed-the-Plow (création: 1988)

> Oleanna (création 1992)

> Race (création 2009)