Après avoir revisité des classiques de Vercors (Le silence de la mer), Camus (Caligula - Remix) et Molière (Don Juan - Uncensored), Marc Beaupré déroge de sa trajectoire pour monter ce texte d'Annick Lefebvre. Récit dramatique d'une famille dysfonctionnelle de Saint-Bruno, au centre de laquelle se trouvent des jumeaux révoltés.

À la lecture de Ce samedi il pleuvait, on pense spontanément aux jumeaux du Grand cahier d'Agota Kristof. Non pas dans le drame de la séparation ou du déracinement. Mais dans l'étrangeté de la cellule familiale dans laquelle ils se trouvent. Dans l'abandon des parents. Dans le manque d'amour des enfants. Dans leur désir d'affranchissement aussi.

Ayant lui-même un frère jumeau, Marc Beaupré s'est senti interpellé par cette histoire familiale où des jumeaux s'expriment dans un «parfait synchronisme», selon les notes de l'auteure. «Ce que je trouvais intéressant, c'était leur volonté de s'affranchir l'un de l'autre et de leur famille, mais malgré eux, de parler d'une seule voix. C'est très théâtral, et puis ça évoque l'idée du choeur que j'avais explorée dans Caligula - Remix».

Nous sommes à Saint-Bruno-de-Montarville, dans une famille en apparence tout ce qu'il y a de plus normale. Un père, Ludovic, une mère, Julie, des jumeaux de 15 ans et un chien. Mais, dès les premières scènes, le beau tableau se fissure. On se rend vite compte que les parents ne sont absolument pas amoureux l'un de l'autre. Le père se réfugie dans son boulot, la mère est dépressive et les enfants leur en veulent à mort. Bref, la famille s'en prend plein la gueule...

«Si ce n'était qu'une charge contre la famille bien formatée, je n'aurais jamais accepté de monter cette pièce, nous dit Marc Beaupré. Mais dans la deuxième partie du texte, Annick nous explique la blessure des parents, qui les a menés dans le cul-de-sac dans lequel ils se trouvent.» Toute l'histoire de Ce samedi il pleuvait est racontée au passé. «Les personnages nous parlent directement, ils ne sont pas en dialogue, nous dit Marc Beaupré. C'est comme si on avait accès à leur subconscient.»

Même si dans le texte d'Annick Lefebvre les jumeaux sont frère et soeur, le metteur en scène a fait appel aux frères David pour interpréter Jumeau et Jumelle. L'auteur et comédien Sébastien David et son frère jumeau Maxime, un «non-comédien» qui travaille normalement comme graphiste. Dans ces circonstances, Jumelle portera du rouge à lèvres. «Il y a chez les jumeaux, mais aussi chez leurs parents, un désir de révolte contre cette famille qu'ils méprisent tous.»

La dynamique des jumeaux est-elle aussi dure que celle décrite par Annick Lefebvre? «Ce n'est pas toujours facile, répond Marc Beaupré. Quand j'étais ado, j'étais gêné d'être dans le même espace que mon frère, j'avais l'impression d'être dilué... C'était pareil pour lui! Comme si on avait la même personnalité et qu'on était interchangeables... On n'était pas interchangeables! On voulait chacun avoir notre identité propre!»

Marc Beaupré ne voulait pas monter cette pièce de façon conventionnelle. «Les frères David mesurent six pieds. Et leurs parents dans la pièce - tous deux plus petits de taille - sont habillés comme des enfants. Marie-Ève Milot a 28 ans et elle joue le rôle de la mère. Elle est habillée comme une fillette. Son mari, interprété par Alexandre Fortin, est habillé comme un écolier. Tout est dysfonctionnel et inadéquat chez les personnages. Je voulais les ramener dans l'espace-temps où tout s'est mis à déraper pour eux. La fameuse blessure...»

Le metteur en scène refait équipe avec le scénographe Romain Fabre, qui a travaillé sur Don Juan - Uncensored. Sur le mur du fond, on peut voir une immense ardoise sur laquelle on a dessiné à la craie le portrait des membres de cette famille. «Pendant la pièce, ils dessinent leur silhouette à la craie. Mais à force de se représenter en tant qu'individus, le public verra apparaître une foule de gens.»

Une fois la blessure révélée, le spectateur comprendra pourquoi cette famille est «toute croche», promet Marc Beaupré. «Ils demeureront dysfonctionnels, mais ils ne seront plus tout à fait les mêmes.» Ce samedi-là, la mer se calmera. Et la famille, même imparfaite, même inadéquate, aura quand même un sens.

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Ce samedi il pleuvait, aux Écuries du 9 au 27 avril.